Cet appel à la désertion est très intéressant et révélateur d’une époque, de notre époque, une époque où il devient très difficile de croire en quoi que ce soit !

Très intéressant car les constats dressés par ces jeunes sont assez évidents, mais pourtant ce n’est qu’une vision très partielle.

Je ne vais pas défendre l’agro-industrie dans ses excès et ils sont nombreux. Mais… nous vivons nettement plus longtemps aujourd’hui avec la traçabilité, la chaîne du froid, les frigos, les mesures d’hygiène dans les usines, sauf celles de Buittoni, où semble-t-il il y a de gros trous dans la raquette sanitaire.

Nous arrivons à nourrir des milliards d’êtres humains et ce n’est pas rien, même si cela est très imparfait.

Nous savons aussi que le capitalisme n’est rien d’autre que la « propriété privée des moyens de production ». On sait également le succès très relatif du collectivisme qui transpire à travers ces aimables étudiants qui n’ont pas vécu les famines soviétiques ou chinoises.

Un être humain qui n’est pas récompensé de ses efforts… ne fait pas d’effort. Tout le reste n’est qu’idéologie.

C’est la raison d’ailleurs pour laquelle nous sommes beaucoup plus riches sans esclaves qu’avec des esclaves !

La fin de la main-d’œuvre gratuite était une grande peur de tous les esclavagistes notamment aux Etats-Unis jusqu’à ce que tous se rendent compte qu’un homme libre payé pour son travail produit bien plus qu’un esclave fouetté !

Bien évidemment l’agro-industrie pose de vrais problèmes, l’agriculture intensive également. Pourtant, aller faire 3 mois de « woofing » dans une ferme habillé en sarouel ne changera en aucun cas le monde, ni sa marche.

Bien évidemment l’écologie actuelle est une escroquerie qu’ils ont raison de dénoncer, de la même manière que leur appel à la désertion est très utile en ce sens où ils dénoncent parfaitement les « bullshit jobs » comme on dit et les remplisseurs de cases Excel.

Mais il ne faut pas se tromper.

Le problème n’est pas le capitalisme qui existe depuis la nuit des temps et dont les formes ont évolué à chaque époque en gardant le principe de base de la propriété privée.

Le problème ce sont les gouvernements qui sont désormais au service et sous le contrôle de lobbys si puissants qu’ils en écrivent eux-mêmes les législations.

« Les diplômé.es de 2022 sont aujourd’hui réuni.es une dernière fois après trois ou quatre années à AgroParisTech.

Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours.

Nous ne nous considérons pas comme les « Talents d’une planète soutenable ».
Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des « enjeux » ou des « défis » auxquels nous devrions trouver des « solutions » en tant qu’ingénieures.
Nous ne croyons pas que nous avons besoin de « toutes les agricultures ».
Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre.
Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques.
Nous pensons que l’innovation technologique ou les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme.
Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte
Ni à la « transition écologique », une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant.

AgroParisTech forme chaque année des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie de diverses manières:
Trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui asservissent toujours plus les agricultrices et les agriculteurs
Concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les malades causées,
Inventer des labels « bonne conscience » pour permettre aux cadres de se croire héroïques en mangeant mieux que les autres,
Développer des énergies dites « vertes » qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde,
Pondre des rapports RSE [Responsabilité Sociale et Environnementale] d’autant plus longs et délirants que les crimes qu’ils masquent sont scandaleux,
Ou encore compter des grenouilles et des papillons pour que les bétonneurs puissent les faire disparaitre légalement,
À nos yeux, ces jobs sont destructeurs et les choisir c’est nuire en servant les intérêts de quelques uns.

Si notre cursus à AgroParisTech nous a mis en avant ces débouchés, on ne nous a jamais parlé des diplômé.es qui considèrent que ces métiers font davantage partie des problèmes que des solutions et qui ont fait le choix de déserter.

Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent,

A vous qui avez accepté un boulot parce qu' »il faut bien une première expérience »,
A vous dont les proches travaillent à perpétuer le système capitaliste,
Et qui sentez le poids de leur regard sur vos choix professionnels,

A vous qui, assises derrière un bureau, regardons par la fenêtre en rêvant d’espace et de liberté,
Vous qui prenez le TGV tous les week-ends, en quête d’un bien-être jamais trouvé,

A vous qui sentez un malaise monter sans pouvoir le nommer,
Qui trouvez souvent que ce monde est fou,
Qui avez envie de faire quelque chose mais ne savez pas trop quoi,
Ou qui espérez changer les choses de l’intérieur et n’y croyez déjà plus vraiment,

Nous avons douté, et nous doutons parfois encore. Mais nous avons décidé de chercher d’autres voies, de refuser de servir ce système et de construire nos propres chemins.

Comment est-ce que ça a commencé ?

Nous avons rencontré des gens qui luttaient et nous les avons suivis sur leurs terrains de lutte. Ils nous ont fait voir l’envers des projets qu’on aurait pu mener en tant qu’ingénieur.e.s.
Je pense à Cristiana et Emmanuel, qui voient le béton couler sur leurs terres du plateau de Saclay,
Ou à ce trou desséché, compensation dérisoire à une mare pleine de tritons,
Et à Nico, qui voit de sa tour d’immeuble les jardins populaires de son enfance rasé pour la construction d’un écoquartier.

Ici et là, nous avons rencontré des personnes qui expérimentent d’autres modes de vies,
qui se réapproprient des savoirs et savoirs-faire pour ne plus dépendre du monopole d’industries polluantes,
Des personnes qui comprennent leur territoire pour vivre avec lui sans l’épuiser,
Qui luttent activement contre des projets nuisibles
Qui pratiquent au quotidien une écologie populaire, décoloniale et féministe,
Qui retrouvent le temps de vivre bien et de prendre soin les uns les unes des autres,

Toutes ces rencontres nous ont inspirées pour imaginer nos propres voies:

Je prépare une installation en apiculture dans le dauphiné.
J’habite depuis deux ans à la ZAD de Notre Dame des Landes où je fais de l’agriculture collective et vivrière, entre autres choses
J’ai rejoint le mouvement des Soulèvements de la terre pour lutter contre l’accaparement et la bétonisation des terres agricoles à travers la France.
Je vis à la montagne où j’ai fait un boulot saisonnier et je me lance dans le dessin.
Je m’installe en collectif dans le Tarn, sur une ferme Terres de Liens, avec 4 autres maraîchers, un céréalier et 3 brasseurs.
Je m’engage contre le nucléaire.
Je me forme aujourd’hui pour m’installer demain et travailler de mes mains.

Nous sommes persuadées que ces façons de vivre nous rendront plus heureuses, plus fortes, et plus épanouies.
Nous voulons pouvoir nous regarder en face demain et soutenir le regard de nos enfants.

Vous avez peur de faire un pas de côté parce qu’il ne ferait pas bien sur votre CV ?
De vous éloigner de votre famille et de votre réseau?
De vous priver de la reconnaissance que vous vaudrait une carrière d’ingé agro ?

Mais quelle vie voulons-nous ?
Un patron cynique, un salaire qui permet de prendre l’avion, un emprunt sur 30 ans pour un pavillon, tout juste 5 semaines par an pour souffler dans un gîte insolite, un SUV électrique, un fairphone et une carte de fidélité à la Biocoop ?
Et puis.. un burn-out à quarante ans ?

Ne perdons pas notre temps !
Et surtout ne laissons pas filer cette énergie qui bout quelque part en nous !
Désertons avant d’être coincés par des obligations financières
N’attendons pas que nos mômes nous réclament des sous pour faire du shopping dans le métavers, parce que nous aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose
N’attendons pas d’être incapable d’autre chose qu’une pseudo-reconversion dans le même taf, mais repeint en vert.
N’attendons pas le 12ème rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses derniers espoirs dans les révoltes populaires.

Vous pouvez bifurquer maintenant.
Commencer une formation de paysan-boulanger,
Partir pour quelques mois de wwoofing,
Participer à un chantier dans une ZAD ou ailleurs,
Rejoindre un week-end de lutte avec les Soulèvements de la Terre,
S’investir dans un atelier de vélo participatif ?
Ca peut commencer comme ça.

A vous de trouver vos manières de bifurquer. »

Charles SANNAT

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