Voici le dernier billet de notre ami de Grèce Panagiotis Grigoriou qui chronique la mort annoncée de la péninsule hellénique, mais aussi l’explosion à venir de l’euro, notre monnaie, et d’une Europe telle qu’elle a été construite jusqu’à présent, sur des mensonges et contre les peuples.
Il faut dénoncer la stratégie de la peur employée par nos europathes et les multinationales qui font tous leur beurre sur le dos des peuples européens partout appauvris, y compris en Allemagne, car le miracle allemand, certes brillant dans les chiffres du commerce ou des excédents, est très différent pour le niveau de vie du peuple allemand.
Tous les peuples ont le même ennemi : le totalitarisme marchand, et le mondialisme.
Charles SANNAT

Coïncidence peut-être. J’évoquais au précédent billet de ce blog, “l’inexplicable” et insupportable histoire de Théodosis, ce phoque des Cyclades mort par balle tirée d’une arme à feu que l’on qualifiera disons “d’humaine”. Récemment, mon ami Lákis Proguídis, de passage à Athènes à l’occasion de la présentation de son (troisième) essai consacré à l’œuvre d’Aléxandros Papadiamántis (1851 -1911, écrivain majeur des lettres néohelléniques), m’a fait penser à cet autre phoque, celui du vieil écrivain. Lákis s’y connaît : “Il faut toujours le garder en mémoire par les temps qui courent, me dit-il en souriant, Le Chant funèbre du phoque que Papadiamántis avait publié trois ans avant sa mort.” “L’entendrons-nous toujours ?”

Contes de notre pays. Spectacle, Athènes, mars 2017

Cette nouvelle a d’abord été publiée par le journal Patris (‘La Patrie’) le 13 mars 1908, et son texte est considéré par la plupart des spécialistes de l’œuvre du grand écrivain de l’île de Skiáthos comme son récit le plus émouvant comme le plus mûr. “C’est comme si ne trouvaient jamais fin la peine et le chagrin des humains”, dit le phoque devant la mort brutale d’Akrivoula, la fillette (son prénom signifie d’ailleurs “La plus chère”).

Complainte synonyme, d’après Lákis Proguídis, d’un deuil de la nature non pas devant l’homme mort en général, mais plutôt vis-à-vis de l’homme indigent. Car seul ce dernier (il y a plus d’un siècle, ne l’oublions pas) fait partie intégrante du cosmos (cosmos a donné… le terme cosmétique), il l’aime, et elle représente entièrement sa vie. Tandis que l’autre “homme”, l’avare, celui circulant déjà sur la voie du métanthropisme dirait-on aujourd’hui, et qui, de surcroît, se croit propriétaire et maître de l’univers, celui-là, notre phoque ne le reconnaîtra jamais, et donc jamais, il ne déplorera la mort.

L’homme de Papadiamántis encore dans sa plénitude, demeure une personne irréductible, ce qui ne sera plus le cas un siècle plus tard. “Et ce n’est pas n’importe quel siècle” – remarque Lákis Proguídis dans son essai (paru en grec aux éditions “Hestia”, Athènes, 2017) – “mais le XXe siècle, celui de l’obsolescence de l’homme. Oui, de son l’obsolescence, d’après la pensée philosophique de Günter Anders. Non pas de l’aliénation de l’homme dont parlait Marx au milieu du XIXe siècle, ni d’ailleurs de la ‘privatisation’ de l’homme (son auto-marchandisation) que Cornelius Castoriadis avait tant évoqué au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.

Obsolescence de l’homme, alors rendu inutile avant l’heure, transformé en ordure au beau milieu de la déchetterie anthropologique du temps présent, devenu ainsi obsolète avant qu’il ne mûrisse, avant même qu’il ne naisse en tant que personne irréductible et irremplaçable, avant enfin d’acquérir la conscience de sa propre existence sous forme de miracle et en même temps création au sein d’un univers alors extraordinaire. Obsolescence.

“Le temps, c’est de l’argent. Le pays est en train de se liquéfier”… To Pontíki, 23 mars 2017
“Jeroen Dijsselbloem insiste”, Quotidien des Rédacteurs, le 23 Mars 2017
“NON à Schäuble”. Athènes, mars 2017

Sauf que “l’expérimentation grecque” offre toujours ce poste d’observation plus qu’avancé en Europe (je dirais plutôt… avarié) à cette obsolescence alors si “prometteuse”. “Le temps, c’est de l’argent. Le pays entier est en train de se liquéfier, son système politique, l’économie. Un accord entre la Grèce et la Troïka est urgemment recherché, et tout laisse penser qu’il sera résolu lors de la prochaine réunion du FLMI”, écrit en titre l’hebdomadaire politique et satirique To Pontíki (23 mars 2017).

Cette semaine (à part ce neuvième épisode à l’Eurogroupe), toute la presse grecque (et parfois même francophone) relate la dernière provocation… culturaliste de Jeroen Dijsselbloem. “À en croire Jeroen Dijsselbloem, les pays du sud de l’Europe ‘dépensent tout leur argent en alcool et en femmes’, et demandent ensuite l’aide de leurs besogneux voisins du Nord. Une déclaration qui suscite une vive indignation dans les pays visés”, remarque le Courrier International, et en Grèce, ce discours (soulignons-le, ouvertement partagé par Schäuble car il vient de réitérer son soutien à son valet Jeroen) vient de provoquer une colère de plus au pays où l’européisme ne passe alors plus du tout.

Outre les insultes proférées ici ou là (et encore à travers les médias – inutile de les reproduire ici), c’est sur la zone matinale de la radio 90,1FM que le journaliste Yórgos Trangas a, durant toute cette semaine, appelé à boycotter massivement… toutes les bières, tous les fromages et plus généralement tous les produits néerlandais : “Boycottez Amstel, boycottez Heineken, le fromage Gouda… KLM, faites-les souffrir, faisons en sorte pour que leurs entreprises finissent par quitter notre pays” (cité de mémoire), voilà pour l’ambiance réellement existante, loin, très loin des tromperies des commémorations du Traité de Rome.

Vision de l’européisme. Quotidien des Rédacteurs, mars 2017
De l’européisme. Quotidien des Rédacteurs, mars 2017
L’effarante réalité des factures d’électricité en Grèce (presse grecque) mars 2017

L’européisme est déjà mort pour les consciences, au plus profond des cœurs et autant… à travers la gorge des peuples qui en souffrent, “petits ou grands”, tout le monde l’admet désormais. En ce 25 mars aujourd’hui, 25 mars 2017 (fête nationale en Grèce), le site du PARDEM en France fait remarquer que deux anniversaires sont célébrés pour des raisons totalement opposées.

Le premier est celui de la victoire de la guerre d’indépendance sur l’Empire ottoman, dite aussi Révolution grecque (1821-1829). Cette commémoration renforce la volonté des Grecs de se libérer de leurs nouveaux envahisseurs : la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international).

Le second est celui du 60e anniversaire de la signature du traité de Rome qui a lancé la “construction” européenne. Cette date devrait être un jour de deuil européen, tant les méfaits de ce système sont désormais tellement évidents, le “cas” grec en étant une preuve tragique.

À cette occasion, Jacques Nikonoff, président du Parti de la démondialisation, s’est rendu à l’Ambassade de Grèce à Paris pour remettre à l’ambassadeur une lettre de soutien au peuple grec dans les épreuves qu’il traverse et de condamnation du gouvernement Tsipras totalement soumis à la tyrannie de l’Union européenne. Je rajouterais toute de même ceci : la tyrannie de l’Union européenne, moins l’électricité !

Car le dernier scandale en date chez les “métaphrasés” de la zone euro que nous sommes tient des factures qui ont doublé en quelques années seulement, et en fin de compte, de la situation en quasi-faillite de la Régie d’électricité (DEI). La presse économique (comme la presse tout court) s’appuie sur l’exemple d’une telle facture récente (avec prochain relevé fixé à la date du 7 juillet 2017), dont le montant correspondant à la consommation effective du foyer (351 €) ne représente… aisément que la moitié de la facture à régler.

Fermeture, provisoire. Athènes, mars 2017
Le monde est un asile pour fous… Athènes, mars 2017
Marché de poisson. Athènes, mars 2017

Ce qui se passe depuis ces dernières années dites “de crise”, en réalité de guerre économique, géopolitique et culturelle contre le peuple grec (il n’est pas le seul dans cette situation), tient de l’impossibilité des foyers à régler leurs factures d’électricité. Ainsi, et face à cette aporie énergétique, trois solutions sont encore possibles en Grèce : régler certaines factures (les plus élevées) en plusieurs versements, suivant un échéancier établi en commun accord avec la Régie, bénéficier d’une tarification plus basse pour cause de dénuement prouvé, ou sinon… se brancher sur le réseau de manière clandestine.

Rien qu’en 2016, les techniciens de la Régie ont découvert plus de 10 000 cas de branchements illégaux sur le réseau de DEI (moins de 500 cas par an, découverts avant 2010), et il devrait en exister dix fois plus. Les électriciens de quartier exigent entre 50 € et 200 € suivant les “difficultés techniques” aux foyers intéressés, paiement comptant ! DEI, facture donc à la fois les pertes générées par les branchements illégaux, mais encore… le coût (pour elle) du tarif réduit dont bénéficient les foyers les plus pauvres. Ce coût… final, en absence de politique sociale de la part de l’État, est alors redevable à ceux qui arrivent encore à régler une facture d’électricité “normale” dans ce pays (153 € pour la facture de notre exemple, et s’y ajoutent 77 € de TVA et 44 € de taxes locales).

Conséquence : d’après le bilan de l’entreprise DEI, celui déjà de 2015, la Régie affiche un volume de ventes de 5,7 milliards d’euros et de pertes de 102,5 millions d’euros. Son passif total dépasse les 11 milliards dont environ 3,3 milliards d’euros, payables à moyen terme, autrement dit une dette qui devrait être principalement réglée en 2016. Et comme les coûts d’exploitation du groupe en 2015 étaient de 4,9 milliards, c’est alors un exploit que la Régie… n’ait pas encore fait faillite, note la presse économique. Inutile de dire que le gonflement des factures d’électricité (presque doublement depuis 2010, pour une consommation donnée équivalente) fait basculer chaque mois plusieurs milliers de consommateurs solvables… vers les deux autres catégories. La fin des… Lumières est finalement proche !

Notre concitoyen malvoyant. Athènes, mars 2017
Notre sardine ! Marché d’Athènes, mars 2017
Abris pour animaux adespotes. Mont Hymette, mars 2017

Obsolescence de l’Homme sauf que les consciences résistent devant l’effacement programmé de la dignité. Le pays entier est une bouilloire sociale. Ça court même les rues. En assistant un concitoyen malvoyant à traverser un boulevard, nous avons pu engager un bref échange avec lui, fort significatif :

Je touche à peine 170 € euros par mois d’aide et c’est tout. Avant d’être aveugle… mais il y a longtemps, je travaillais, je composais même mes poèmes. Je parle français et anglais… j’étais marin un moment donné. Ces salopards de politiciens je les vois bien, je vois bien ce qu’ils nous font, tous valets des Troïkans, des Allemands et de la pseudo-UE. Je les égorgerais tous…” Ambiance !

Le même jour, sur le marché central de la capitale, le poissonnier en rajoutait : “Je n’en vends plus. Même vers la fin de la journée, lorsque je vais baisser le prix de ma sardine à un euro le kilo, les clients ne viendront toujours pas. Je finirai par fermer boutique, pour laisser tous les biens qui me restent à mes deux fils. La Grèce est un pays cramé par ces salopards… internes comme externes. Nous devrions quitter l’euro, reprendre notre vieille drachme et… déjà pendre Tsipras et les autres politiciens place de la Constitution.” Sur ses poissons, un écriteau racontant tant la suite : “Le monde est un asile pour fous… Et ici, c’est sa centrale !” Peut-être…

Athènes, vie quotidienne. Mars 2017
Il y a des ruches… sur le mont Hymette. Mars 2017

Fête nationale (et aussi religieuse en Grèce) en ce 25 mars, nous rencontrerons nos amis pour fêter notre Résistance d’avant comme d’après, et autant pour y réfléchir ensemble. Nous cheminerons, nous ne suivrons pas les medias, et nous nous abstiendrons des fiestas officielles. Après tout, il y a encore des ruches, des abeilles, et du miel sur le Mont Hymette et on y soigne aussi parfois… nos animaux adespotes (sans maître).

“C’est comme si ne trouvaient jamais fin la peine et le chagrin des humains”, nous dit le phoque devant la mort brutale d’Akrivoula, celui d’Aléxandros Papadiamántis, cependant, mon ami Lákis Proguídis garde l’espoir : “Non finalement, ils n’y arriveront pas.”

Animal adespote. Athènes, mars 2017
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