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En économie, il y a l’histoire que nous aimerions raconter… Et puis il y a la statistique. Cette dernière ne détient pas toujours la vérité, mais il faut s’y confronter. La question de l’endettement et de l’investissement dans nos économies contemporaines illustre parfaitement ce hiatus.

L’envolée des prix des actifs, une belle histoire

D’un côté, il y a une histoire fluide. Celle des taux zéro, une dette qui file dans les différentes régions du monde, facilitée par l’abondante liquidité bancaire produite par les banques centrales, et dont la presse ne cesse de relever les records alarmants. En face, il y a une croissance léthargique. Une croissance molle qui suggère que l’abondance financière ne se traduit pas en croissance réelle. Ce qui laisse supposer que l’autofinancement des entreprises, et l’accès facile au crédit ne se transforme pas en capacités nouvelles et en croissance organique. Et entre l’abondance financière et la croissance ralentie des volumes, il y a la course au sommet des prix d’actifs : les actions, l’immobilier, notamment.

L’histoire s’articule bien. Et les canaux eux-mêmes de transformation de la liquidité en inflation du prix des actifs sont identifiés. D’abord, l’intense activité du marché des fusions-acquisitions, qui traduit la propension des entreprises à acheter des capacités déjà installées et à se concentrer, plutôt que de créer de nouvelles capacités. Des entreprises qui par le même jeu se transforment en actifs spéculatifs, dopées aux goodwills. Ensuite, l’intense activité du rachat d’action, notamment aux États-Unis, qui alimente la hausse de la bourse. Tout laisse supposer que nous sommes dans une économie de levier, qui en retour produit toujours plus de cash, mais peu de croissance réelle.

Selon les chiffres : ni dérapage de l’endettement, ni sous-investissement

Les chiffres de leur côté, il faut l’admettre, ne nous restituent pas cette histoire de façon manifeste.

La dette d’abord. Sommes-nous dans la dérive que pointent tant d’experts alarmistes ? Pas vraiment, et en tous les cas pas de manière généralisée dans les économies avancées. Prenons par exemple la dette des entreprises, à travers les prêts bancaires et l’émission de titres. On n’observe pas dans la période récente de dérive spectaculaire des ratios d’endettement, et même, dans certains cas, c’est le désendettement qui caractérise la période. Idem du côté des ménages. Et donc dans la léthargie de la croissance, il y a d’abord le fait que la liquidité banque centrale n’a pas été transformée (ou peu) en crédit aux agents privés non financiers, qui détiennent les clés de dépenses de consommation et d’investissement.

Du côté de l’investissement, là encore sommes-nous vraiment dans un sous-investissement chronique ? Le juge de paix en première approche est le taux d’investissement, la part de valeur ajoutée que les entreprises consacrent à l’investissement. Et là encore, force est de constater que l’on ne décèle pas de décrue manifeste de l’effort d’investissement productif des entreprises, notamment lorsque l’on raisonne à prix constant, pour éliminer l’effet de la déformation des prix relatif. En première approche, on observe ni dérive de l’endettement privée, ni arbitrage en défaveur de l’investissement réel. Si une telle dérive peut être mise en exergue, c’est plutôt du côté de la sphère publique qu’il faut se tourner, où la montée de l’endettement n’a pas eu pour contrepartie une montée en puissance de l’investissement public.

Le stock de capital décélère vraiment

Cela veut-il dire que la belle narration de l’hypertrophie de la finance face à l’atrophie du capital réel surpondère des signaux faibles ? Non. Si maintenant je me penche du côté des canaux de transmission qui produisent l’inflation des prix d’actifs, le changement de régime est manifeste.

Oui, le rachat d’action est un phénomène décisif sur le soutien des cours, aux États-Unis notamment, où le phénomène est le plus affirmé, notamment dans la tech, et où la dérive de la bourse est la plus marquée.

Et du côté des fusions-acquisitions à échelle mondiale, si les données peuvent laisser croire en première approche qu’il ne s’agit que de grandes vagues récurrentes, qui alimentent d’abord les grands cycles de la bourse, il y a bien aussi un changement d’orbite, visible lorsque l’on cumule ces flux sur 5 ans. Ce dernier se dessine dans la seconde moitié des années 90 et ne cesse de s’amplifier par la suite. Ce changement d’échelle persistant alimente un puissant mouvement de croissance externe et de concentration du capital, que la crise de 2008 n’a pas interrompu.

Quant à la stabilité du taux d’investissement, cette dernière est trompeuse. Le flux d’investissement se maintient par rapport au flux du PIB, qui lui-même est en décélération. Ce maintien du ratio recouvre une décélération de l’investissement qui freine la croissance du stock de capital et donc la croissance potentielle. Il y a surtout un changement de composition de l’investissement. Avec deux phénomènes saillants : une hausse du prix relatif des bâtiments, qui fait que le maintien en valeur des dépenses recouvre une baisse en volume des capacités créés. Une hausse de la composante immatérielle et informatique à amortissement et déclassement rapide, qui agit également négativement sur le stock. Résultat, partout, la stabilité des taux d’investissement recouvre une décélération forte du stock de capital.

Donc, oui, en dépit de régularités apparentes, l’abondance du capital financier va de pair avec une attrition du capital productif et une inflation du prix des actifs au détriment des volumes.

 

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