L’un de nos camarades impertinents, après la lecture de mon édito d’hier, m’a rappelé ce poème d’un monstre de notre patrimoine littéraire Victor Hugo qui a intitulé ce poème « Écrit après la visite d’un bagne ».

Il date de 1881.

Vous pourrez constater que si nous avons des iPhone, des tablettes, des ordinateurs et tout plein de technologies nouvelles, nos problèmes humains n’ont pas évolué d’un iota ou presque.

Si j’ai intitulé cet article « Foutez-moi tout ça au bagne à Cayenne et qu’on n’en parle plus ! », c’est parce que de vous à moi, j’entends cet argument de plus en plus souvent, je dirai même que cette demande augmente proportionnellement au niveau de violence de notre société et de nos jeunes sauvageons. Je ne suis ni pour ni contre cette affirmation. Bien au contraire ! Je constate que j’entends cette affirmation très souvent, trop souvent, et cela est un signe funeste et n’annonce rien de bon.

Bien évidemment, nous aurons toujours des « bagnes », et nous aurons toujours notre lot « d’irrécupérables » qu’il faudra mettre en marge de la société pour protéger les braves gens.

Pour le reste, Victor Hugo, déjà en 1881, savait, après avoir visité un bagne, que le bagne n’était pas la solution pour la grande majorité de nos bagnards.

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.

Jamais, notre pays n’a eu autant besoin d’un sursaut national de l’instruction et de l’éducation. L’effort éducatif doit être sans précédent, c’est l’un des outils les plus importants à utiliser par ceux qui voudraient guérir la France de ses maux. Si Blanquer fait quelques pas justes en ce sens, et cela doit être salué, c’est pour le moment bien trop peu et bien trop tard.

Relisons ce poème de Victor Hugo. Tout y est dit.

Charles SANNAT

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.

Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.

La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat.
Faute d’enseignement, on jette dans l’état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c’est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.

Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.

Victor Hugo.

Source Poésie française ici

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