Les investisseurs des quatre coins du monde des marchés actions sont positionnés pour le nirvana d’une croissance mondiale synchronisée et qui s’accélère sous l’impulsion de la Chine et des États-Unis. Mais ils pourraient, au contraire, recevoir une double claque sino-américaine.
Les analystes d’UBS affirment que l’expansion internationale du crédit s’est déjà « effondrée ». Les deux superpuissances économiques serrent toutes les deux la vis économique alors que la tempête pointe à l’horizon.
Je vous livre ici la traduction du dernier article d’Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, et vous connaissez mon opinion au sujet de la qualité du travail de ce dernier.
Un article donc à lire et à retenir pour venir utilement, là encore, alimenter vos réflexions personnelles.
Préparez-vous mes amis, et se préparer, croyez-moi, n’est pas faire acte de pessimisme, bien au contraire, on se prépare et on doit se préparer avec l’espoir de construire et de bâtir un monde meilleur.
Charles SANNAT
Le marché obligataire américain signale depuis deux mois que l’économie américaine est toujours inconfortablement proche d’une rechute déflationniste, un jugement implicite affirmant que la FED est sur le point de commettre une erreur de politique.
Les chiens de garde obligataires ont refusé de « confirmer » la hausse des marchés actions mondiaux engendrée par l’ « effet Trump ». Les enseignements des cycles précédents indiquent qu’ils ont tendance à identifier les problèmes quelques semaines avant les marchés actions. Les taux des obligations américaines à 10 ans ont baissé de 33 points de base à 2,29 % depuis début mars.
La chute de la croissance américaine à 0,7 % (annualisée) au premier trimestre suggère que le marché obligataire a raison. Il y a aujourd’hui assez d’indicateurs qui clignotent pour que le risque de récession soit pris au sérieux.
L’indice de la surprise économique de Citigroup s’est effondré durant les huit dernières semaines. Il a abandonné tous les gains enregistrés durant les premiers mois euphoriques qui ont suivi l’élection de Trump, lorsque les marchés ont brièvement cru qu’il concrétiserait son plan de baisse d’impôts et son programme d’un trillion de dollars d’investissements dans les infrastructures.
Goutte à goutte, de nombreux faits concrets se sont accumulés pour sembler contredire les enquêtes d’opinion. Les ventes d’automobiles aux États-Unis étaient censées venir à la rescousse en avril. Au lieu de cela, elles ont chuté de 4,7 %.
Le boom hivernal du secteur automobile semble déjà être un lointain souvenir. Pourtant, les 1,6 trillion de crédits auto sont toujours là. Ils commencent à afficher les caractéristiques du subprime. La FED de New York affirme que 6 millions d’Américains ont plus de 90 jours de retard de paiement sur ces crédits, ce qui pousse les prêteurs à durcir les conditions d’octroi.
Le marché du crédit américain, qui pèse 12,5 trillions de dollars, tousse, il stagne depuis trois mois. Le marché des titres Corporate de 5,8 trillions de dollars n’a pas compensé la baisse. Il s’est même légèrement contracté. Tandis que les crédits commerciaux et industriels n’ont plus chuté aussi vite depuis Lehman.
En attendant, la FED est « dans une autre galaxie », pour emprunter une expression en vogue cette semaine. Elle a balayé les signes de faiblesse en les qualifiant de « transitoires », elle semble déterminée à vouloir concrétiser une volée de hausse des taux tant que l’horizon semble dégagé.
Adam Posen, patron du Peterson Institute de Washington, s’attend à 4 relèvements cette année. « La FED sera bien plus agressive qu’escompté », a-t-il déclaré.
Evercore ISI, une boutique spécialisée dans les banques centrales, prévient que la FED ne reculera pas comme elle l’a fait en 2015 et 2016 si Wall Street rencontre des soucis.
Cette fois, c’est différent. À tort ou à raison, la FED pense que la situation mondiale est meilleure. Le marché du travail américain est plus tendu. Le dollar est moins sous pression.
Le grand souci du comité de la FED est de se trouver en retard par rapport à l’inflation latente, réelle ou perçue. Elle pense que le niveau « naturel » des taux est d’environ 2 % si bien qu’elle ne reculera pas, à moins que quelque chose d’horrible se produise.
« La barre qui pousserait la FED à interrompre son cycle de relèvement des taux est plus élevée cette année. Les investisseurs ne doivent pas s’attendre à être sauvés par des actions agressives et promptes de la FED en cas d’une baisse d’intensité moyenne des marchés actions », a déclaré le groupe.
On pourrait dire qu’il est remarquable de voir la FED serrer la vis rien qu’en raison du contexte de la baisse de la consommation des ménages de 0,3 % durant le premier trimestre, soit un niveau qui a précédé toutes les récessions de ces 40 dernières années à l’exception de l’anomalie isolée de 1987.
On court le risque de voir le Comité de la FED répéter l’erreur qu’elle a commise à la fin du boom pré-Lehman, lorsque les indicateurs monétaires s’étaient déjà inversés et comme c’est le cas aujourd’hui. Des actions trop vigoureuses de serrage de vis, effectuées à un moment critique, ont fait d’un revers gérable un événement qui est parti en vrille, et qui à cette occasion a pris la forme de l’effondrement du système bancaire.
La question n’est pas de savoir si les taux ont l’air bas, c’est une distraction, mais quel est le niveau qui fera mal à une économie mondialisée qui repose sur le dollar et qui n’a jamais été autant endettée. L’Institute of International Finance affirme que la dette mondiale a atteint 217 trillions de dollars, soit un ratio record de 325 % par rapport au PIB mondial.
Il y a déjà eu 13 relèvements « synthétiques » des taux dans ce cycle de serrage de vis si on inclut les effets de la fin de l’assouplissement quantitatif en vertu du modèle Wu-Xia. Nous pourrions bien être déjà à son terme.
« La FED a tort, comme en 2007-2008, lorsqu’elle n’a pas vu les risques de récession. Leurs modèles ne fonctionnent tout simplement pas. Le Comité de la FED ne pourra relever son taux directeur qu’à une seule reprise, après quoi leur prochaine décision sera un abaissement », a déclaré Patrick Perret-Green, d’AdMacro.
Les grandes banques américaines recommandent à leurs clients de retirer leurs billes alors que le « trade d’Icare » approche trop près du soleil. Bank of America et Goldman Sachs ont lancé des avertissements mineurs. (…)
La Chine n’est pas en reste
Le dernier mini-boom chinois est une merveille à observer. Nous pouvons voir aujourd’hui que les autorités ont paniqué après le gros coup d’arrêt de son économie au début 2015. Elles ont abandonné leurs réformes pour recourir à nouveau à la création extrême de crédit qui a poussé la dette des entreprises jusqu’à 171 % du PIB chinois.
La BRI affirme que l’écart « crédit / PIB » a atteint 30 points, le niveau le plus élevé du monde ainsi que le record en Chine. Tout score supérieur à 10 est habituellement considéré comme un signal d’avertissement.
Les stimulations fiscales nettes ont atteint 10 % du PIB l’année dernière, soit le même niveau que la hausse de 2009 post-Lehman. Mais, aujourd’hui, les circonstances sont différentes tandis que l’efficacité du crédit s’est effondrée. Certaines estimations montrent qu’il faut 13 yuans de crédit pour générer un yuan de croissance.
Pékin a initié un serrage de vis furtif il y a six mois. Il s’est mué aujourd’hui en effort en bonne et due forme pour tenter de contrôler la menace posée par les 8 trillions du système bancaire parallèle. Les taux à 3 mois du Shibor ont presque doublé durant les six derniers mois pour atteindre 4,33 %. Un régulateur bancaire qui aime dégainer, Guo Shuqing, a été nommé pour purger les excès dangereux du système avant qu’un désastre financier n’engloutisse l’ensemble du Parti communiste chinois.
« L’économie chinoise a plafonné durant le premier trimestre, elle se prépare à perdre de la vitesse durant le reste de 2017 », a déclaré Allan von Mehren de Dankse Bank. (…)
Saxo Bank affirme que les forces antagonistes sont si puissantes que l’économie chinoise pourrait être totalement à l’arrêt plus tard cette année, provoquant des remous jusqu’aux marchés des matières premières et avec le risque de voir le PIB mondial baisser.
« Les marchés intègrent 20 % de chances d’une récession mondiale, mais de retour de Chine nous pensons que ce risque se situe plus autour des 60 % », a déclaré Steen Jakobsen de Saxo.
« La Chine représente la moitié de la croissance mondiale, il est difficile de concevoir ce qui pourrait la remplacer. Trump ne bougera pas au mieux avant l’année prochaine. Nous pensons qu’aucune banque centrale ne devrait serrer la vis en ce moment », a-t-il déclaré.
Le cycle économique n’a pas été totalement aboli. Il prend fin invariablement lorsque les décideurs commettent une erreur d’appréciation et appuient trop fort sur la pédale de frein. Prédire ce moment est presque impossible. Mais les risques augmentent, et il n’y aura nulle part où se cacher en Europe si la « Chimérique » cède et quand cela se passera.
Article d’Ambrose Evans-Pritchard, publié le 3 mai 2017 sur le site du Telegraph