Le point de vue de Jacques Sapir, un homme qui pense bien et un homme qui pense sagement et sobrement, même si vous ne partagez pas toutes ses idées, écouter ses analyses est toujours très utile pour enrichir notre réflexion.

Charles SANNAT

M. Donald Trump est donc entré en fonction comme 45e président des États-Unis. Il a prononcé à cette occasion un discours d’investiture qui était très attendu pour les différentes précisions qu’il devait apporter sur son programme (1).

Au-delà des manifestations tant de joie que de colère que cette inauguration du nouveau président a immanquablement provoquées, des interrogations se posent. Dès avant son investiture, Donald Trump a commencé à dévoiler son programme économique. En choisissant d’inciter certaines entreprises, en particulier dans le secteur automobile, à revenir sur le territoire des États-Unis, il a donné une première image de ce que pourrait être sa présidence. Il a bien montré quels seront ses futurs adversaires : les grandes puissances mercantilistes comme la Chine ou l’Allemagne.
Les réductions fiscales

Donald Trump s’est engagé tant sur des réductions d’impôts que sur un programme de relance budgétaire. De ce point de vue, son programme économique apparaît peu différent de celui de Ronald Reagan quand il fut élu en 1980. Mais, la situation économique des États-Unis n’est plus celle des années 1980. Une extrapolation du « reaganisme » n’est donc pas possible. La structure fiscale des États-Unis est extraordinairement inégalitaire. Les plus riches, ceux que l’on appelle les « 1 % » de la population, concentrent aujourd’hui encore une grande partie de la richesse, qu’elle soit produite ou accumulée, et concentrent aussi une part décisive des exemptions fiscales. L’enjeu du programme de Donald Trump est donc clair. S’il se décidait en faveur d’exemptions favorisant la classe moyenne, ce serait, pour le coup, une véritable révolution. Les différents projets sur lesquels il a communiqué, et en particulier la taxe sur le chiffre d’affaires produits aux États-Unis, dans un pays qui ne connaît pas la TVA au niveau fédéral (même si elle existe au niveau des États), pourraient changer significativement la situation fiscale.

La question des investissements en infrastructures a elle aussi envahi le débat lors de la campagne électorale de l’automne dernier avec une toute particulière acuité. Les États-Unis ont laissé se détériorer progressivement une grande partie de leurs infrastructures, routes, ponts, hôpitaux, mais aussi les écoles et divers bâtiments publics. Donald Trump a promis d’engager 1 000 milliards de dollars sur ces investissements. La détérioration des grandes infrastructures publiques pèse désormais sur les gains de productivité de l’économie américaine. Or, sans de nouveaux gains réguliers, il ne pourra pas y avoir de progrès économique et social. Il y a, et c’est une évidence, fort à faire sur ce point car la colère et la rancœur accumulée dans la population américaine, cette même colère et cette même rancœur qui ont rendu possible l’élection de Donald Trump, sont aujourd’hui devenues explosives. C’est là l’un des principaux enjeux de la présidence Trump. C’est sur sa capacité à créer un cadre permettant à l’ensemble de la population américaine de bénéficier de la croissance économique à venir qu’il sera jugé.

L’impact des mesures sur les taux d’intérêts

Mais, si l’on additionne ces deux promesses, les réductions d’impôts et les investissements en infrastructures, on obtient un déficit budgétaire de l’État fédéral en forte hausse. Les estimations des économistes le situent actuellement entre 5 % et 7 % du PIB des États-Unis pour l’exercice 2017-2018, car il faut savoir qu’aux États-Unis, le budget ne correspond pas à l’année légale. Il commence (et s’achève) en été. Le premier budget qui portera donc l’empreinte de Donald Trump, mais aussi celle des compromis qu’il devra passer avec les Républicains tant au Sénat qu’à la Chambre des Représentants, sera celui de 2017-2018.

Un déficit important impliquerait une forte hausse de la dette publique. Comment, alors réagira la Banque centrale des États-Unis, ce que l’on appelle la Réserve fédérale ou la FED ? Sa présidente, Mme Yellen, a déjà laissé entendre qu’elle allait procéder à des hausses de taux d’intérêt en 2017. La question est d’importance, car du taux d’intérêt des États-Unis dépend à la fois le taux d’intérêt des autres monnaies, mais aussi le taux de change entre le dollar et l’euro. Peut-on s’attendre à une forte hausse du Dollar, venant après celle que l’on a connue en 2015 ? Il est ici important de comprendre que le président des États-Unis, s’il dispose d’une très grande liberté d’action en ce qui concerne la politique étrangère, doit nécessairement en passer par le Congrès des États-Unis, Chambre des Représentants et Sénat. Le président des États-Unis (et son gouvernement) ne peut présenter une loi devant les deux chambres, ce qui constitue une importante différence avec la France où le gouvernement a l’initiative des lois. Il convient d’intégrer cette dimension particulière de la politique américaine quand on se penche sur le dollar ou sur le budget.

Un basculement vers le protectionnisme?

La question du protectionnisme est aussi au cœur des interrogations des politiques et des experts. Car, ce que suggèrent les différents messages envoyés par Donald Trump par l’entremise de Twitter, c’est bien une certaine forme de protectionnisme. Bien sûr, le cadre légal des États-Unis a toujours été bien plus protectionniste que celui des pays de l’Union européenne. Rappelons que nous n’avons pas, ni dans le cadre de l’UE ni dans celui de la France, d’équivalent du Buy American Act ou du Small Business Act, qui réserve à des petites entreprises américaines une part des marchés publics. Au-delà donc des messages envoyés par l’entremise de Twitter, Donald Trump a déclaré son opposition aux grands traités de libre-échange, que ce soit le traité transpacifique (le TPP) ou que ce soit le TAFTA.

 Cette opposition est intéressante ; elle conduit aujourd’hui à un débat à fronts renversés, où ce sont les États-Unis qui s’avancent sur le chemin du protectionnisme alors que les Chinois et les Européens se posent, en particulier au forum économique de Davos, en défenseur du libre-échange. Ceci est remarquable de la nouvelle période qui s’ouvre et à laquelle François Hollande semble bien ne rien avoir compris (2). L’Allemagne est ici directement visée par Donald Trump. C’est le résultat de sa politique ouvertement mercantiliste, politique qu’elle développe d’ailleurs en symbiose étroite avec la Chine. L’Allemagne cherchera donc à se protéger des États-Unis en s’abritant derrière l’Union européenne. Il n’est pas sûr, et c’est le moins que l’on puisse dire, que ce soit l’intérêt des autres pays de l’UE d’accepter cela, et de payer pour une politique dont, eux aussi, ils sont les victimes. La défense de l’UE par François Hollande se trompe de signe car, ce qui condamne à court terme l’UE, outre l’incapacité et l’arrogance de ses bureaucrates, c’est bien l’attitude de l’Allemagne (3). Cette attaque contre la globalisation n’est pas si étonnante que cela. Une étude, datant de 2007 montrait que l’ouverture du marché des États-Unis à la concurrence internationale était responsable de la stagnation des salaires dans ce pays. En fait, le libre-échange a été mis en cause par divers grands économistes, de Keynes à Krugman et Rodrick. L’idée que le libre-échange produit un bien-être généralisé a été battue en brèche à de nombreuses reprises. En réalité, le libre-échange est la cause de bien des inégalités au sein des pays développés, mais aussi du chômage et de la destruction des droits économiques et sociaux acquis à la suite de grandes luttes par les travailleurs.

(1) https://russeurope.hypotheses.org/5613

(2) http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/hollande-denonce-le-protectionnisme-prone-par-trump_1871178.html

(3) http://www.huffingtonpost.fr/2017/01/16/francois-hollande-repond-sechement-a-donald-trump-apres-ses-atta/

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