Où sont passés les milliards russes après la vente des obligations américaines ? Voilà la question qui est posée par cet article de l’agence russe Sputnik. Et c’est une bonne question !

La réponse est assez simple : les Russes vendent les obligations américaines qu’ils détiennent et achètent de l’or, du yuan et de l’euro avec l’idée de base d’échapper au maximum aux sanctions économiques américaines, car la justice US ira saisir les obligations détenues par la Russie sous prétexte qu’elle commerce par exemple avec l’Iran.

Les Chinois ne peuvent pas faire la même chose car la volumétrie détenue par Pékin n’est pas la même. Si demain les Chinois revendent 50 % des obligations américaines qu’ils ont en portefeuille, c’est le krach obligataire dans la seconde. Mais ils allègent progressivement et achètent de plus en plus d’actifs tangibles de par le monde… en les achetant contre des dollars !!

Charles SANNAT

Trois sujets liés à Moscou suscitent toujours une attention réelle voire un étonnement sincère de la presse financière et des experts étrangers.

Le mystère principal que les journalistes financiers occidentaux tentent de résoudre est le suivant : pourquoi l’économie russe ne s’est-elle pas écroulée malgré les sanctions sans précédent de l’Occident ? Si cette tendance persistait, le mème de la « mystérieuse économie russe » pourrait se retrouver, dans la noosphère occidentale, à côté de celui sur la « mystérieuse âme russe ».

Un autre sujet d’inquiétude pour le monde est le succès russe en ce qui concerne la prise de contrôle de l’OPEP, que les Américains avaient créée pour promouvoir leurs propres intérêts. Aujourd’hui, les journalistes américains blaguent avec amertume en disant qu’il est probablement temps de rebaptiser l’OPEP en ROPEP, car l’organisation est menée par la Russie qui préfère ignorer les tweets de Donald Trump exigeant de faire immédiatement baisser les prix du pétrole.

Enfin, il faut évoquer le sujet des réserves russes d’or et l’obsession de la Banque centrale qui achète ce métal précieux pour élargir ses stocks. Comme les réserves russes dépassent déjà celles de Pékin, les analystes occidentaux supposent que cette stratégie pourrait s’inscrire dans le cadre des préparatifs à une explosion ou à un reformatage radical du système monétaire international, suite auquel l’or serait le seul « outil financier » capable non seulement de préserver sa valeur, mais aussi de l’augmenter.

On a constaté la semaine dernière des événements qui devraient élargir cette liste et devenir un autre sujet de débats. Suite à la publication des récentes données du ministère américain des Finances, tous les experts réfléchissent aux raisons de la Russie qui s’est débarrassée en avril – les dernières données du ministère américain ne concernent que ce mois – de la moitié de son portefeuille d’obligations américaines.

Alors que les amateurs russes de tout ce qui est occidental affichent ouvertement leur satisfaction et soulignent que le marché n’a même pas remarqué la liquidation de la moitié du portefeuille russe, d’autres remarquent sèchement que cette liquidation a coïncidé de manière étrange avec la chute des prix des obligations américaines. Autrement dit, le marché n’a rien ignoré mais a été en mesure de « digérer » cette vente d’obligations pour 47,4 milliards de dollars.

Certains médias russes soulignent que le ministère américain des Finances ne fait aucune distinction entre le statut des propriétaires des obligations et ne mentionne que le montant total pour chaque pays. Autrement dit, ils suggèrent que toutes les ventes n’ont probablement pas été initiées par la Banque centrale russe.

En réalité, on peut raisonnablement affirmer que la majorité – voire la totalité – des obligations a été vendue par la Banque centrale russe, et pas par d’autres détenteurs nationaux.

Selon les statistiques de la FED, elle a enregistré en avril une chute notable du volume des obligations que les banques centrales étrangères détenaient sur ses comptes. Cela constitue une preuve indirecte, mais assez tangible, du fait qu’il s’agit d’une liquidation de la moitié du portefeuille des obligations américaines appartenant à l’État russe.

Le plus intéressant dans toute cette histoire est que le montant estimé des réserves russes de change a augmenté en avril de 1,3 milliard de dollars. Cela dément donc les suppositions selon lesquelles ces ventes s’expliqueraient par la nécessité de combler d’urgence un trou financier. Les obligations américaines ont été vendues pour réinvestir les fonds obtenus dans d’autres actifs.

Comme la Banque centrale publie ses rapports concernant la gestion des réserves avec un retard considérable, nous ne connaîtrons l’objectif de ces réinvestissements que dans six mois. On peut pourtant déjà évoquer plusieurs scénarios possibles.

La version la plus conservatrice serait que la vente des obligations américaines – elle pourrait même concerner tout leur volume, car nous n’avons pas encore vu les données de mai – s’expliquerait par la seule volonté de minimiser le risque de leur saisie dans le cadre des sanctions américaines.

La tentative éventuelle de confisquer (ou de geler) le portefeuille russe d’obligations américaines se solderait par des dégâts colossaux pour les marchés financiers américains et les capacités du ministère des Finances d’emprunter afin de contrebalancer le déficit budgétaire qui ne cesse de croître. L’administration Trump a pourtant déjà plus d’une fois affiché son mépris envers le bon sens et la gestion des risques à long terme, ce qui pourrait donc justifier la liquidation d’une partie ou de la totalité du portefeuille russe.

Si cette dernière n’était qu’une mesure défensive, on verrait parmi les possessions de la Banque centrale russe d’autres actifs en dollars, stockés hors de la juridiction américaine et gérés probablement à l’aide d’une structure « tampon » telle que le système européen Euroclear. Un scénario alternatif : la Banque centrale aurait investi dans les outils financiers émis par des organismes non-américains. Il est pourtant assez difficile de trouver un volume aussi important d’outils non-américains en dollars.

Les réseaux sociaux et les médias supposent que les fonds obtenus grâce à la vente des obligations américaines ont été utilisés pour soutenir Rusal, qui a énormément souffert à cause des sanctions, notamment pour racheter ses dettes en dollars. Il n’aurait cependant pas été nécessaire de vendre les obligations américaines pour 47 milliards de dollars : 8,5 milliards auraient été parfaitement suffisants. On aurait pu le considérer comme un investissement voire comme une « nationalisation souple », mais il s’agit visiblement dans ce cas-là d’un projet plus important.

Le scénario le plus radical et le moins crédible est celui d’une révision sérieuse du rapport des devises dans les réserves de change russes. Les autorités auraient donc considérablement réduit la part du dollar grâce à la vente des obligations et à l’achat de titres dans d’autres monnaies, probablement en euro. Ce scénario est le plus intéressant du point de vue des analystes occidentaux, dont certains considèrent ces manœuvres financières russes comme une répétition des actions similaires de la Chine.

Cette perspective devient encore plus intéressante dans le contexte de l’échec évident des négociations entre les États-Unis et la Chine concernant la prévention de la guerre commerciale – dans le cadre de cette dernière, le portefeuille chinois d’obligations américaines pourrait être un équivalent financier de l’arme nucléaire.

Si Moscou supposait ou était certaine que Pékin pourrait lancer des mesures si radicales, la vente rapide du paquet russe d’obligations américaines aurait été un moyen de protéger ses fonds avant que la Chine ne frappe le marché financier américain. Si c’est exactement la raison des actions radicales de la Banque centrale russe, on ne peut que saluer sa vision et espérer que la Russie ne subira pas les conséquences les plus dures de la guerre commerciale internationale du type « tous contre tous ».

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