Mes chères impertinentes, chers impertinents,

Au milieu des années 90 alors étudiant, je faisais le service ou l’accueil dans certains cénacles diplomatiques à Paris. Cela me permettait de croiser quelques ministres étrangers et de les entendre parler de l’avenir des relations internationales. Comme finalement maintenant les plus vieux parmi nous, j’ai vu tomber le mur de Berlin. Je me souviens aussi de la peur qu’inspirait l’URSS et l’armée rouge. Je me souviens de mon père regardant une émission à la télévision dans les années 80 qui expliquait comment les armées du Pacte de Varsovie seraient à Paris en 48 heures balayant tout sur leur passage. Caché derrière le fauteuil au lieu d’être au lit j’en tremblais de peur. J’ai vu toutes les guerres depuis et tous les coups tordus des uns et des autres.

Hier ma fille me demandait si Poutine était méchant.

Je n’ai aucune naïveté sur ce que sont nos élites, sur le cynisme des Anglo-saxons et des Américains en tête. Je n’ai pas plus de doute sur la violence russe. J’ai vu Eltsine, envahir et détruire la Tchétchénie avec l’appui des Américains et de Bill Clinton qui a laissé la CIA fournir à la Russie de quoi localiser le président tchétchène, Djokhar Doudaïev, alors que celui-ci menait des négociations de paix avec Moscou avec son téléphone portable. Et boum un missile guidé laser dans la tête. Personne ne voyait rien à redire à la destruction de Grozny et de ses habitants.

Hier ma fille me demandait si Poutine était méchant.

Et me venait à l’esprit le discours de Poutine où ce dernier faisait la liste à son peuple russe, de nos propres massacres à nous que nous nous empressons bien vite d’oublier. Guerre en Irak 1, puis la seconde en 2003, Afghanistan, Syrie, Liban, Sanctions pendant 40 ans contre l’Iran, Libye, mais aussi il y a plus longtemps, l’Indochine, le Vietnam, ou encore la Corée. Des millions de morts.

L’histoire est ainsi. Horrible. Tragique. Cynique.

Le 1er octobre 1999, l’armée russe intervint à nouveau dans la république séparatiste avec 140 000 hommes. C’est le jeune Vladimir Poutine qui est le Premier Ministre du vieillissant et alcoolisé Eltsine. Deux mois après Boris Eltsine démissionne le 31 décembre 1999 et laisse la place de président à son Premier Ministre Vladimir Poutine. Ce dernier terminera la guerre en Tchétchénie. Il terminera aussi Grozny la Capitale.

Les chefs d’Etats sont rarement des “gentils”. Ils n’ont pas d’amis. Ils ont des intérêts.

Poutine est un homme d’expérience, c’est un chef d’Etat, dans une nation compliquée, issue d’un empire qui s’est effondré et dont l’immensité du territoire et sa diversité rendent la gestion d’une grande complexité.

Comprendre Poutine, c’est comprendre cette imbrication entre l’histoire, la grande, et la géographie avec ses vastes étendues.

Macron “psychiatrise” Poutine et c’est une erreur d’une immense dangerosité. 

Ne pensez pas une seule seconde que j’émets une critique à l’égard du président parce qu’il rentre en campagne. A ce rythme les élections n’auront jamais lieu puisque nous nous serons tous atomisés d’ici-là. La situation est effectivement très grave et il faut bien comprendre tout ce qui se passe. Nous ne jouons pas si ce n’est avec le feu.

“Tu commets une erreur grave”

“Le chef de l’État a bien tenté de faire flancher le maître du Kremlin, essayant tant bien que mal de le ramener à la réalité, lui qui a confié sa volonté de “dénazifier” l’Ukraine, pays dirigé par un président de confession juive.

D’après les informations transmises par l’Élysée à BFMTV, Emmanuel Macron, qui tutoie Vladimir Poutine, lui a ainsi déclaré : “Tu commets une grave erreur: l’Ukraine n’est pas un régime nazi, c’est un mensonge”.

“Tu te racontes des histoires. (…) Les conditions russes sont inacceptables”, a aussi déclaré Emmanuel Macron à Vladimir Poutine.
“Le président de la République a invité le Président Poutine à ne pas se mentir à lui-même”, rajoute l’Élysée.

Une fermeté qui n’a pas empêché Emmanuel Macron de laisser la voie ouverte au dialogue. “Si Vladimir Poutine décide de faire autrement, une autre voie est possible”, souligne la présidence de la République”.

Le registre ici est de considérer que le Président Poutine perd pied avec la réalité.

Le discours des journalistes semble plus décrire les derniers instants d’Hitler dans une Allemagne détruite donnant des ordres pour faire déplacer des divisions qui n’existent plus. Quelques heures après Hitler se suicidait. Il aurait eu la bombe atomique, il l’aurait, aux abois sans doute utilisé.

Psychiatriser Poutine est très dangereux, même si c’est vrai, et peut-être même surtout si c’est vrai.

Que nous le voulions ou non, les dirigeants russes ne nous aiment pas, n’ont plus aucune confiance en nous, à tel point qu’ils ont préféré le chemin des armes après avoir tenté celui de la négociation pendant 8 ans. Poutine n’était pas opposé au rapprochement avec l’ouest et avec l’occident. Bien au contraire.

Mais depuis des années, la méfiance à l’égard de l’ouest est devenue grandissante. Elle s’est transformée en peur, et la peur est devenue pour certain de la paranoïa.

Si vous laissez croire à votre adversaire que vous pensez qu’il n’est plus rationnel et qu’il a sombré dans la folie, qu’il ne voit plus la réalité “telle qu’elle est”, alors vous envoyez un message terriblement dangereux.

Vous dites en substance, “j’ai très peur de toi parce que tu es fou”.

Alors je vais vous dire exactement ce que je pense.

La frappe préventive pour éliminer le fou

Si Poutine et je dis bien si, car en fait je n’y crois pas un seul instant, est un fou isolé dans son bunker et qui menace le monde d’appuyer à n’importe quel instant sur le bouton rouge pour raser la planète, alors il faut le neutraliser immédiatement, y compris par la force, y compris nucléaire si nécessaire.

Imaginez que cette pensée soit celle que nous fassions naître dans l’esprit des Russes en disant ce que nous disons…

Cela ne va pas calmer leurs angoisses, leurs peurs ou leurs criantes, mais renforcer un sentiment de danger, d’oppression ou de paranoïa.

Et je crains fort que ce soit exactement à ce résultat que nous arrivons comme en témoigne les propos de Lavrov le Ministre des Affaires étrangères russe.

Dans un tel contexte, il faut mesurer chaque mot.

Dans un tel contexte de tensions, il faut savoir apaiser.

Dans un tel contexte il faut savoir aussi parfois se taire, parce que parler est plus dangereux que le silence.

C’est d’ailleurs exactement ce qu’ont fait les Américains, car en dehors des discours à la Biden où le vieux sénile de la Maison Blanche a conclu son discours sur l’état de l’Union en disant “que Dieu bénisse nos troupes, et aller me le chercher” en parlant de Poutine, du côté de l’armée ils ont fait ce qu’il fallait faire.

Ils ont dit deux choses. 

D’une part qu’ils annulaient un tir de test de missile balistique intercontinental afin que cela ne soit pas pris au mieux pour une provocation, au pire pour une attaque par le système de défense nucléaire russe qui est en état d’alerte et donc sur les dents.

D’autre part, il ont dit qu’il n’était pas nécessaire d’augmenter le niveau d’alerte des forces nucléaires américaines afin, là encore, de ne pas alimenter une escalade nucléaire.

C’est ainsi que fonctionne la sagesse et la pondération dans ces affaires-là.

Il faut se garder de toutes les outrances, des propos malheureux.

Macron commet une erreur dans tous les cas. 

Si Poutine n’est pas fou, alors le fait qu’ on le prenne pour un fou irrationnel et dangereux ne peut que le pousser à une méfiance encore plus exacerbée.

Si Poutine est fou, alors ce n’est pas la peine de le lui dire et de l’énerver.

Dans tous les cas, le Maire, comme Macron, devraient se taire car ces propos sont de nature à focaliser une tension sur notre pays.

Si nous voulions le faire, nous pourrions le faire par la voix de l’Europe en faisant déclarer nos méchancetés par des membres de la Commission Européenne qui ne représentent pas franchement un pays spécifiquement et chaque pays individuellement pourrait dire à Poutine “C’est pas moi qui l’ai dit, c’est la méchante Ursula”. L’Union Européenne est une idée, pas encore un pays. Il est plus difficile d’atomiser une idée et une entité supranationale qu’un pays.

Il faut donc sortir de ce jeu totalement immature où on mène des dialogues de sourds qui n’aboutissent à rien.

Encore une fois, quels sont nos objectifs ?

Que cherche-t-ton à obtenir ?

Que veut-on ?

Poutine est-il en position de faiblesse ?

Voilà une sacrée question.

Poutine est-il en position de faiblesse ?

Est-il en train de perdre militairement en Ukraine ?

Là aussi entre la propagande des uns et celles des autres la réalité est beaucoup plus nuancée.

Poutine peut raser Kiev et toutes les villes d’Ukraine en moins de temps qu’il le faut pour dire ouf. N’imaginez pas que je trouve Poutine sympathique.

Je n’ai aucun sentiment quand on parle de relation internationale. Je ne connais que les intérêts supérieurs de ma nation et de protection de notre population, de nos familles.

Pourtant force est de constater que nous voyons tout de même bien peu de corps à la télévision et les Ukrainiens de Kiev ne se gêneraient sans doute pas pour nous montrer toutes les exactions du boucher de Moscou !

L’opération russe est lente aussi parce que la stratégie du maître du Kremlin n’est pas de raser Kiev comme il a fait raser Grozny en Tchétchénie. Politiquement raser des villes ukrainiennes est un prix que Poutine ne veut pas payer.

Pour autant, au 7ème jour de guerre, l’armée russe n’a toujours pas de suprématie aérienne totale et continue à se faire bombarder par les drones turcs que possède l’Ukraine. Au 7ème jour, l’armée russe connait des problèmes logistiques et d’approvisionnements qui sont liés à l’éparpillement d’unités nombreuses sur de multiples points.

Oui la résistance ukrainienne est bien plus forte qu’attendue. Oui l’Ukraine est également massivement aidée par l’Europe qui agit de manière fort déterminée pour endiguer l’Ours russe et lui rendre le prix de son aventure en Ukraine totalement prohibitif.

Finalement et tout bien pesé, je pense que Poutine n’a qu’une seule faiblesse réelle. C’est la peur de pertes civiles massives. Le pire à venir selon Macron est évidemment facile à prévoir. Les massacres pourraient bien arriver puisque les Ukrainiens “ne se rendent pas”. Alors, ils finiront comme les Tchétchènes de Grozny. Sous un tapis de bombes. C’est le risque des prochains jours. L’Europe sera alors sidérée.

Poutine n’est donc pas encore totalement fou, il reste largement rationnel et ses exigences sont parfaitement claires.

Il veut une Ukraine neutre et démilitarisée. Le coup de la dénazification, c’est pour “amuser” la galerie, et là aussi il serait souhaitable que le président français ne réagisse même pas à ce genre de propos.

La question à ce stade est donc de savoir si nous avons le souhait, nous autres Européens de donner des garanties à la Russie de Poutine sur la neutralité future de l’Ukraine.

Pour le moment la réponse est non.

La Géorgie et Moldavie demandent d’ailleurs en urgence leur adhésion à l’Union Européenne.

Pas de quoi rassurer la Russie donc.

La peur de la Russie. 

L’histoire est tragique.

Elle est faite de cadavres.

“Le terme Holodomor (ukrainien : Голодомо́р, littéralement « famine », de la racine « го́лод », la faim, et « мор », le fléau, formé comme calque du tchèque « hladomor » (famine) en 19331, mais qu’on peut traduire par « extermination par la faim ») désigne la grande famine qui eut lieu en Ukraine et dans le Kouban, en URSS, en 1932 et 1933 et qui fit, selon les estimations des historiens, entre 2,62 et 5 millions de morts. L’évènement, sans précédent dans l’histoire de l’Ukraine, se produit dans le contexte plus général des famines soviétiques de 1931-1933 et eut un nombre particulièrement élevé de victimes”.

Cette immense famine, ce massacre ne doit rien au hasard, mais tout à Joseph Staline.

Quand vous être ukrainien, géorgien, moldave vous n’avez pas oublié de quoi est capable la Russie.

Quand vous êtes polonais, hongrois, tchèque, vous n’avez pas oublié de quoi Moscou est capable.

Quand tout le monde a peur de l’autre, alors, le pire, effectivement, est devant nous.

C’est pour ces raisons et bien d’autres, ces pour ces dizaines de millions de morts que nous devons agir avec tempérance, hauteur et grandeur, parce qu’en Europe, il n’y a jamais, jamais de petite guerre.

Hier ma fille me demandait si Poutine était méchant.

La seule réponse que j’ai pu lui donner et que finalement, aucun de nous était véritablement gentil.

Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu.

Préparez-vous !

Charles SANNAT

« Insolentiae » signifie « impertinence » en latin
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