Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,

Lorsque je parle du droit opposable au travail, on me rétorque souvent que cela ferait le jeu des grandes entreprises… Tout d’abord, les postes créés dans un tel cadre devraient être uniquement réservés évidemment au secteur non marchand (association, école, etc.) et qu’à certains postes qui ne sont, par définition, pas rentables pour le privé.

Je trouve néanmoins utile de mettre en parallèle à cette peur ou crainte exprimée, et par ailleurs tout à fait fondée, le fait que les entreprises profitent déjà de la détresse financière des peuples et de nos concitoyens qui cherchent par tous les moyens à arrondir leur fin de mois souvent difficile.

Tout est bon, et comme tout est bon, le grand méchant capital ne s’y est pas trompé, et cela fait quelques années, technologies aidant, qu’ils ont trouvé le bon filon de l’exploitation bon marché des masses laborieuses.

As du marketing, ils ont trouvé un nom radieux et un concept joyeux permettant à tous de couler des jours paisibles dans la servilité et l’exploitation heureuse.

L’économie collaborative

C’est beau l’économie collaborative, qui pourrait être contre ? C’est tellement chouette, tellement moderne, tellement socialement responsable et autres foutaises du genre.

C’est quoi l’économie collaborative ?

C’est très simple, c’est faire faire par des gens payés à la tache et au lance-pierre ce que vous confiez avant à des salariés dûment appointés.

Uber c’est collaboratif. J’ai une voiture, je peux m’en servir pour transporter du monde ou la louer à quelqu’un qui en a besoin quand je ne m’en sers pas. Collaboratif donc.

Collaboratif quand on s’échange des trucs sur des plateformes en ligne, collaboratif toujours quand on prend l’épargne des uns pour avancer des sous aux autres, collaboratif encore et à tout bout de champ aussi pour les livraisons, à pieds ou vélo…

Et justement à pieds, cela tombe bien pour Franprix et Leader Price qui font livrer les courses non plus par des livreurs, mais par le voisin de la voisine qui fait ses courses en même temps, du coup, il remontera bien l’immeuble avec les courses de la voisine…

Vous rendez-vous compte que l’on monétise ici le lien social ? Proposer à son voisin de remonter le truc dont il a besoin, ou à l’ancien du dessous de lui faire ses courses, c’est la base du lien social (autre terme à la con où plus on parle de lien social, plus il y a de liens économiques), le « fondamental » de la solidarité de proximité.

Même cela disparaît. Absurde.

Chez Leader Price et Franprix, on peut se faire livrer ses courses par son voisin

Voici l’article du Figaro, novlangue « môôderne » dans le texte inclus en série.

« Leader Price et Franprix lancent de nouveaux services de livraison collaboratifs entre voisins. »

Comment c’est beau, du « collaboratif entre voisins »… Bon, du collaboratif entre voisins, mais payant parce que sinon ce ne serait pas vraiment « collaboratif » n’est-ce pas. Ce serait de la solidarité, de l’entraide, de l’amour de son prochain, et ça, franchement, c’est à vomir, car… cela ne rapporte rien. L’amour ne s’achète pas, pour tout le reste il y a Visa ou Mastercard.

« Il est désormais possible de se faire livrer ses courses par son voisin. Ce concept, développé par la start-up Courseur en partenariat avec Leader Price, a été mis en place en juin dans 73 enseignes de l’entreprise de hard-discount. Le principe est simple : plutôt que d’aller faire ses courses en magasin, vous pouvez demander à un voisin de s’en charger à votre place. Pour cela, il suffit de se connecter sur l’application Courseur, de rentrer son adresse et sa liste de course. L’application sélectionne alors le magasin le plus proche et propose au client les «courseurs» volontaires pour effectuer la livraison. Le «courseur» sélectionné part alors faire ses achats ainsi que ceux de la personne qu’il doit livrer. À la caisse, il ne paye que pour lui et la personne livrée est débitée plus tard via l’application.

L’enseigne Franprix expérimente cet été un système similaire mis en place avec la start-up Off Course. Contrairement à Courseur, la personne qui effectue la livraison n’est pas forcément un client du magasin, ce qui élargit le cercle des livreurs potentiellement disponibles. Les deux systèmes se distinguent aussi par la façon dont ils rémunèrent les livreurs et dont ils se rémunèrent. Chez Leader Price, la livraison est rémunérée 2,50 euros plus 10 % du montant des courses, le tout à la charge de la personne qui demande la livraison. La start-up ne touche aucun pourcentage sur les transactions, mais est rémunérée par Leader Price. Du côté de Franprix : une livraison rapporte au livreur un pourboire fixe de 4 euros, réglé par l’enseigne. Si Off Course est encore en phase d’essai, la jeune start-up compte à terme toucher 10 à 15 % du montant du panier livré. »

Eh oui, voyez-vous, 2,50 euros pour faire une livraison, c’est juste que dalle, juste rien, une misère, du foutage de gueule social et je vais vous dire pourquoi.

Soit un salarié payé 10 euros de l’heure en brut au SMIC, cela va faire, tout avantage inclus, au moins du 20 euros de l’heure à payer pour l’employeur (on parle bien d’un SMIC), mais l’employeur trouve le SMIC trop cher…

Du coup, comment faire ? Simple : un peu de « collaboratif » fera l’affaire

Reprenons, 20 euros de l’heure donc. Disons globalement que le livreur normalement constitué fasse au mieux 4 livraisons de l’heure, il faut y aller, tout pousser, tout monter, dire bonjour à la vielle rabougrie (il n’y a aucune empathie dans le commerce de masse) ou à la « snobinarde » du 7e étage dont l’ascenseur est en panne et qui n’a commandé que des packs d’eau (limités à 6 par livraison tout de même), pointer les paquets, bref, tout cela prend du temps, beaucoup de temps, et le temps c’est de l’argent, surtout à 20 euros de l’heure.

Du coup, sur la base de 4 livraisons, le coût unitaire d’une livraison est d’environ 5 euros. En réalité, ils en font deux de l’heure est le coût est de 10 €.

En payant 2,50 €, c’est la très bonne affaire pour les grandes chaînes, et c’est de l’exploitation pour les aimables « courseurs » qui se font enfler, mais qui se disent que finalement… 2,50 € pour remonter quelques colis en plus des siens, c’est toujours cela de pris… Et puis dans le collaboratif, cela ne dure jamais longtemps une « collaboration », l’essentiel c’est d’avoir toujours des pigeons, pardon des « courseurs » et, de façon générale, suffisamment de « joueurs ».

Tout n’est qu’une question de tonneau des Danaïdes. En tant que start-up collaborative, je dois remplir plus vite que mon cheptel, pardon… mon nombre de « collaborateur collaborant dans ce nouveau monde génial ultramoderne et top connecté avec aie-Pad » ne se vide des gus, qui comprennent au bout de quelques mois qu’ils s’emmerdent réellement pour 2,5 sous de l’heure bruts et sans retraite…

Quelle est votre valeur ?

Sur quoi tout cela se base-t-il ? Sur votre valeur mes amis.

Quelle est votre valeur ?

Quelle valeur vous accordez-vous ?

2,50 euros de l’heure ? Ne vous méprisez pas. Soyons tous ambitieux, pour nous, comme pour nos proches. Même si l’argent n’est jamais une fin en soi, certains « salaires » sont une insulte à la dignité.

Cessez cela tout de suite. Il n’y a pas de façon facile de gagner l’argent. Il n’y en a qu’une : il faut travailler en ayant conscience de sa valeur et du fait que votre temps est limité. Vous avez au mieux 10 heures de travail par jour pendant 6 jours sur 7. Certaines semaines, vous pourrez toujours travailler 7 jours sur 7, mais vous ne tiendrez pas dans la durée.

Vous n’avez donc au mieux que 60 heures travaillées devant vous.

Vous ne pouvez pas augmenter votre nombre d’heures travaillées. La seule variable sur laquelle vous pouvez agir c’est le prix de l’heure !

60 heures à 2,50 euros ce n’est évidemment pas la même chose que 60 heures à 100 euros ! Cela semble une évidence, mais une évidence que les difficultés financières font oublier à nos concitoyens qui se ruent dans l’économie collaborative pour s’emmerder beaucoup, gagner peu et engraisser quelques start-ups qui, le plus souvent, perdent en plus de l’argent en cassant les équilibres sociaux et salariaux.

La réflexion, pour sortir de la misère, doit être exclusivement orientée vers cette seule question pour vous : « Comment puis-je augmenter mon taux horaire ? » Toutes les autres démarches vous condamnent aux fins de mois difficiles.

L’économie collaborative n’a donc rien de beau, ou de bien, ou encore de « cool ». C’est une déviance abjecte du totalitarisme marchand, d’ailleurs tous ceux qui pensent encore un peu le savent très bien. Voici ce qu’en dit le même article du Figaro :

« Un modèle collaboratif qui tend parfois vers l’ubérisation… Afin de limiter ces dérives, et pour conserver le statut collaboratif de sa plateforme, You2You a limité les gains réalisables par des particuliers à 400 euros par mois. Mais consciente qu’il y a là un nouveau filon, elle a indiqué au Figaro qu’elle allait lancer très prochainement une nouvelle plateforme de livraisons avec des coursiers enregistrés comme autoentrepreneurs »…

Et voilà comment d’un concept sympa comme « l’économie collaborative » on arrive à une réalité sociale à vomir, où les salariés sont remplacés par des tacherons payés à la pièce, le moins possible, et sans plus aucune protection sociale ou couverture, car quand un autoentrepreneur est malade et ne livre pas, il n’est juste plus payé.

Bienvenu dans le précariat 2.0.

Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !

Charles SANNAT

« Insolentiae » signifie « impertinence » en latin
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« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)

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Source LeFigaro.com ici

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