Les achats d’obligations gouvernementales par les banques centrales sont l’une des expériences monétaires les plus atypiques de l’histoire financière. On a affirmé qu’il s’agissait d’une forme de création monétaire censée créer de l’hyperinflation, qui ne s’est jamais matérialisée malgré les prédictions des incorrigibles pessimistes… Les facteurs déflationnistes sont bien trop forts et nous les connaissons : il s’agit d’une part de la mondialisation, des délocalisations, de l’immigration, de la démographie déclinante dans de nombreux pays dits développés, et des progrès technologiques. Tous ces facteurs sont profondément déflationnistes.
Injecter de la monnaie fait gagner du temps mais ne peut régler aucun problème.
Charles SANNAT
Néanmoins, le montant total des assouplissements monétaires qui s’est accumulé sur les bilans de la FED, de la BCE et de la BoJ s’élève désormais environ 13,5 trillions de dollars, une somme supérieure au PIB de la Chine ou de la zone euro par exemple.
Si les QE ont échoué à créer de l’inflation, y mettre un terme pourrait en fait générer l’inflation qui était attendue. Cela ne semble-t-il pas paradoxal ? Voyez-vous, peu importe la quantité de monnaie créée, si elle n’atteint pas l’économie réelle il n’y aura pas d’inflation. De plus, même si elle atteint l’économie réelle et qu’elle alimente l’épargne, il n’y aura toujours pas d’inflation.
La conséquence la plus dingue des QE, ce sont les réserves excédentaires à la FED. Les banquiers se sont plaints des achats d’obligations de la FED, qui les empêchaient de parquer leur argent. La FED leur a donc offert une solution en leur proposant de leur payer des intérêts sur leurs réserves excédentaires, sans justification valable. Environ 3 trillions de dollars ont été parqués à la FED, générant des intérêts, si bien que 4,5 trillions de dollars n’ont jamais vu le jour. De ce fait, il n’y a pas eu vraiment d’inflation (en dehors des soins de santé, qui grimpent toujours de toute façon), le cash a simplement été accumulé. (…)
Mais comment la fin des QE pourrait-elle créer de l’inflation ? La fin des politiques accommodantes de la FED, de la BCE et de la BoJ va déboucher sur une augmentation des taux obligataires, ce qui augmentera le coût du service de la dette des États. Cela augmentera encore plus les dépenses et les emprunts des gouvernements, même s’ils n’investissent pas. Les gouvernements ne se penchent pas sur ce problème car ils s’attendent à ce que rien ne change : ils pensent qu’il y aura toujours des acheteurs pour leurs émissions obligataires.
Les gouvernements ont fortement augmenté leurs dépenses en raison des taux planchers, de facto à zéro, et du fait que les banques centrales achetaient. Alors que, durant Reagan, la dette américaine a atteint la barre du trillion de dollars, Obama a enregistré des déficits annuels d’un trillion.
Le moment de vérité approche. Les QE ont-ils déstabilisé les marchés obligataires de façon telle que seuls des idiots achèteront des obligations dans un contexte de taux en hausse ? Comment ce système d’emprunts perpétuels peut-il se poursuivre année après année tandis que les dettes gonflent ? Certains ne comprennent toujours pas que l’économie est régie par un cycle ; ce n’est pas parce qu’on peut vendre une obligation aujourd’hui qu’on pourra trouver un acheteur demain.
De plus, d’autres secteurs du système financier mondial ont été sérieusement déstabilisés. Par exemple, les banques européennes ont transféré du cash dans leurs succursales américaines, tout en parquant de l’argent à la FED, alors que la BCE leur imposait des taux négatifs. De plus, les 13,5 trillions de dollars du bilan de la FED, de la BCE, de la BoJ sont pris au piège, ces actifs ne peuvent être vendus sur les marchés. Cela signifie qu’elles sont obligées d’attendre que leurs obligations arrivent à maturité afin de réduire la taille de leur bilan. Elles n’ont pas d’autre porte de sortie. (…)
La BCE, la plus vulnérable de toute
La BCE est la plus vulnérable de toutes, car elle possède 40 % de la dette des États membres de l’Union. Alors que la situation économique déchire l’Union, le bilan de la BCE est le plus vulnérable, le plus exposé à un défaut.
De plus, ce trio de banques centrales a épuisé toutes ses cartouches. La FED doit relever son taux directeur pour être en mesure de le rabaisser en cas de besoin, mais elles ne peuvent acheter davantage d’obligations sans risquer de courir vers leur propre banqueroute. Un défaut de la banque centrale, comme cela s’est passé sous Jackson avec la Banque des États-Unis, fut suivi par la panique de 1837 et les défauts des États souverains des années 1840, qui créèrent une dépression qui sema les graines de la guerre de Sécession.
Le bilan de la FED était de 900 milliards en 2008 alors qu’il est aujourd’hui de 4,5 trillions. Celui de la banque du Japon a enregistré une augmentation de 107 trillions de yens durant la même période pour atteindre aussi environ 4,5 trillions de dollars (490 trillions de yens). Nous avons ensuite la BCE, qui a plus que doublé son bilan de 2 à 4,1 trillions d’euros, soit aussi environ 4,5 trillions de dollars.
Les banques centrales ont acheté les obligations gouvernementales des banques commerciales et leur ont payé des intérêts avec de la monnaie créée : il s’agit de la description du processus par les pessimistes. En théorie, c’est élastique : si on laisse les obligations arriver à maturité, elles disparaissent petit à petit du bilan. Mais voici le problème : le gouvernement continue d’emprunter. Si la banque centrale n’est plus acheteuse, les taux peuvent grimper bien plus vite qu’escompté afin d’attirer de nouveaux acheteurs. Si cela ne marche pas, nous pourrions connaître des défauts souverains.
Le QE de la FED va désormais véritablement prendre fin
La FED a récemment annoncé qu’elle ne réinvestira plus le produit des obligations arrivées à échéance dans de nouveaux titres, ce qui signifie que la taille de son bilan va se réduire. Pour 426 milliards d’obligations arriveront à échéance en 2018, pour 357 milliards un an plus tard. La FED ne réinvestira pas ces montants, ce qui signifie que la quantité d’obligations disponible sur le marché va doubler.
Le Trésor américain sera forcé de trouver de nouvelles façons d’absorber l’offre supplémentaire si la FED souhaite récupérer ses billes, soit trouver davantage d’acheteurs privés. La réduction de la taille des bilans représente la tendance déflationniste continue d’une tendance d’expansion économique réelle. Le gouvernement sera en compétition pour attirer les investisseurs dans une économie à la croissance toujours plus faible.
Le bilan de la BoJ devrait continuer de gonfler tant que l’objectif d’inflation de 2 % n’est pas atteint. Celui de la BCE l’imitera au moins jusqu’à la fin de l’année, comme prévu. Cependant, les effets négatifs de la réduction des bilans de plusieurs banques centrales se renforceront mutuellement en 2018, ce qui facilitera l’émergence d’une crise à l’horizon 2018-2020.
Le retrait de la BCE du marché obligataire européen, qui inclut également des obligations d’entreprise, provoquera des effets secondaires même en dehors de l’Europe. Il fera perdurer les aspects déflationnistes de la croissance économique. Cela ne fera que mettre en évidence les conséquences involontaires de toute cette expérience monétaire non orthodoxe.
Article de Martin Armstrong, publié le sur son site le 20 avril 2017