Je me souviens notamment d’Alcatel.
On nous expliquait à l’époque l’idée absolument géniale des dirigeants de ce groupe. Et l’idée vraiment au top consistait à l’époque à devenir des “fab-less” en anglais, ce qui peut se traduire par des fabricants sans usine.
Le problème c’est qu’au bout de 10 à 15 ans le fabricants sans usine, devient un fabricant sans produit, sans savoir-faire, et sans client.
La Chine, parce que nous l’avons laissée faire, a tout pris et sait désormais faire aussi bien et souvent mieux que nous.
« Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons » disait Lénine, et c’est exactement ce que nous avons fait en gros depuis le début des années 2000.
Nous nous sommes laissés couillonner. Inutile de le reprocher à la Chine, c’est nous qui avons été mauvais, mais à nous de ne plus être désormais naïfs.
Les entreprises sans usine étaient une belle ânerie. Mais le dire vous faisait irrémédiablement passer pour un vieux réac et pas moderne. Un peu comme quand vous rigolez non pas de la technologie des monnaies virtuelles, mais de la valeur de trucs qui ne reposent sur rien. On continue à m’expliquer tous les jours que je n’ai rien compris.
Pourtant, la création de richesses est un principe vieux comme le monde et il repose sur la création d’un bidule correspondant au besoin d’un bonhomme qui est prêt à l’acheter pour s’en servir.
Tout le reste n’est que du vent… et le vent l’emportera !
Charles SANNAT
« Ceci est un article « presslib » et sans droit voisin, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Insolentiae.com est le site sur lequel Charles Sannat s’exprime quotidiennement et livre un décryptage impertinent et sans concession de l’actualité économique. Merci de visiter mon site. Vous pouvez vous abonner gratuitement à la lettre d’information quotidienne sur www.insolentiae.com. »
Les entreprises «sans usine» à la merci de la Chine
Lignes de production à l’arrêt ou fortement ralenties, liaisons maritimes comme aériennes suspendues, la pandémie impacte sérieusement toute l’activité commerciale et industrielle des pays occidentaux. Ceux-ci découvrent avec effarement une fragilité pourtant prévisible depuis l’avènement du concept d’entreprise sans usine.
«Elle aide le monde en échange de quelques milliards de dollars, mais la Chine aide effectivement le monde, parce qu’on lui a donné la possibilité de proposition d’exclusivité sur un certain nombre de fabrications. S’il n’y a pas de stocks de masques dans les pays européens, c’est parce qu’on a décidé que s’il y avait un problème, la Chine pourrait fournir. Donc effectivement, il y a une faute extrêmement lourde des dirigeants européens.»
Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne, spécialiste des questions chinoises et de Défense à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), a décrit en quelques mots au micro de Sputnik le nœud gordien de nos liens économiques et stratégiques avec la Chine. Le raisonnement que développe celui qui fut attaché de l’Air à l’ambassade de France à Pékin pendant trois ans ne s’applique en effet pas qu’aux masques, médicaments et autres respirateurs vitaux en ces temps de pandémie de Covid-19, mais à tous les secteurs de l’industrie, et singulièrement le numérique.
S’en remettre à la Chine pour des productions stratégiques, «une faute extrêmement lourde des dirigeants européens»
Pour bien le comprendre, un retour en arrière s’impose. Rappelons que le Covid-19 s’est déclaré à Wuhan, dans la région de Hubei. Une localisation stratégique, puisque Wuhan est un centre industriel majeur en Chine, où de nombreuses sociétés occidentales et asiatiques ont élu domicile depuis le plan de décollage chinois de la Chine centrale. L’infection s’est ensuite rapidement propagée dans la province, avant de s’étendre facilement en dehors de Chine en raison des échanges incessants entre le pays et le reste du monde.
Trop heureux de délocaliser l’effort et la pollution, tout en augmentant leurs marges bénéficiaires, nombre d’industriels, principalement dans les secteurs des télécommunications et de l’automobile, transférèrent leurs unités de production en cette région de Chine, ainsi qu’aux territoires limitrophes.
Mus par une politique du court terme, les groupes occidentaux fermèrent les yeux sur le risque de coupure dramatique de leur chaîne logistique: la complexité des produits finis est telle que l’absence d’une seule pièce électronique peut empêcher le bon fonctionnement de l’ensemble de l’appareil. Faire ce choix, c’était oublier de manière inconséquente que de la maîtrise de l’outil industriel procède la souveraineté technologique. Une attitude qui se révéla encore plus sujette à critique avec la survenance d’avanies chronique d’ordre épidémiologique, rendant l’opération plus coûteuse que prévu.
Une mondialisation des hommes, des capitaux… et des agents infectieux
Le Covid-19 a ainsi démontré que la mondialisation n’était pas que celle des hommes et des capitaux, mais aussi des agents infectieux.
À ce stade, il serait facile –et erroné– de faire reposer sur la Chine la responsabilité de la propagation du virus, puisque le pays a été le premier à pâtir de cette infection. Depuis les années 1980 et les réformes de Deng Xiaoping, les autorités chinoises se sont armées pour la mondialisation et ont offert aux autres puissances mondiales un apport de croissance en mettant à disposition leur population, leurs ressources minières et leurs usines, en contrepartie d’un accès facilité à leur marché.
En d’autres termes, la Chine était devenue la locomotive de l’économie mondiale grâce à une politique volontariste de Pékin –qui avait comme contrepartie d’opérer des transferts de technologies massifs– et une frénésie de profits émanant d’entrepreneurs occidentaux peu soucieux de laisser dépérir l’outil industriel national.
Une situation qui perdura jusqu’à l’avènement de Donald Trump, lequel remit radicalement en cause cette politique en s’engageant dans un bras de fer commercial et industriel avec la Chine –l’aspect le plus médiatisé– et avec ses propres hommes d’affaires –conflit plus feutré, mais bien réel– en insistant sur le nécessaire rapatriement d’activités externalisées et l’emploi de main-d’œuvre locale.
On se souvient à ce titre de la défiance marquée –à l’exception notable de Peter Thiel– des acteurs majeurs de la Silicon Valley à l’égard du nouveau chef de l’exécutif américain. Mais ce récent revirement américain fut loin d’être partagé par la Commission européenne, garante d’une orthodoxie visant à abattre toute frontière et à démanteler les monopoles stratégiques.
Occidentaux, victimes consentantes de leur sujétion technologique
Jusqu’à mars 2020, le credo pour une majorité de grandes entreprises européennes, exception faite des allemandes, demeurait d’externaliser à tout prix, de promouvoir le credo de l’entreprise sans usine. Elles ont été contraintes, en sus de la pression fiscale nationale et de la pléthorique réglementation européenne, de fermer mines et usines traditionnelles, jugées trop polluantes par une politique environnementale agressive et contre-productive: la politique de l’usine virtuelle était née.
Cependant, cette approche commençait déjà à vaciller dans les esprits des dirigeants ces derniers mois, avant que la pandémie ne vienne de faire tomber le voile sur une réalité amère: le monde numérique repose sur une chaîne de production matérielle, avec de vraies usines, de vrais employés, de vrais métiers. Comment ainsi prolonger l’activité en cas de rupture logistique de matériel informatique? Car on l’oublie bien trop souvent, l’informatique, ce n’est pas qu’une suite de 0 et de 1, c’est aussi une industrie avec des produits souvent stratégiques comme les terminaux, les routeurs, les écrans, les câbles, les périphériques, etc. Les critiques récurrentes envers Lenovo, ZTE, Huawei ou encore Xiaomi n’auraient aucunement lieu d’être si les gouvernants occidentaux avaient pris les mesures nécessaires pour renforcer leur propre industrie informatique au lieu d’en faciliter le transfert ou pis, de la dynamiter. À l’heure où les échanges se raréfient pour cause de précautions sanitaires, les ressources informatiques deviennent autrement plus précieuses et plus onéreuses pour les économies des puissances occidentales, soulignant davantage la fragilité des États dépendants de ce secteur.
Pourtant, les signaux n’ont pas manqué pour alerter sur cette réalité prévisible, à commencer par ce rapport du Sénat français publié en mars 2013 et intitulé de façon prémonitoire «L’Union européenne, colonie du monde numérique?» et dans lequel un constat cinglant n’a pas été pris en compte:
«Les restrictions en matière d’aides d’État auxquelles sont soumises les entreprises européennes leur font subir un handicap concurrentiel face à des concurrents mondiaux assujettis à moins de contraintes…»
La nature ayant horreur du vide, pourquoi la Chine ne se serait-elle pas emparée d’un secteur aussi dynamique et stratégique que celui du versant industriel du numérique? La politique chinoise fondée sur le duo imitation-innovation –avec le concours de conglomérats capables de se diversifier– fut employée avec à-propos pour saisir pareille opportunité: Américains et surtout Européens furent les victimes consentantes de leur sujétion technologique. Or, pour reprendre une analogie épidémiologique, l’industrie, c’est la défense immunitaire des nations qui entendent rester souveraines.
La prolifération du Covid-19 a été grandement facilitée par deux éléments essentiels: le premier est la mondialisation exacerbée des échanges; le second est la désindustrialisation forcenée des États. La situation actuellement vécue a aussi mis cruellement en relief le degré de dépendance de ces mêmes entités vis-à-vis d’une Chine opportuniste, trop heureuse de rattraper son retard en matière de technologies de pointe et de se poser, à l’occasion de la pandémie, en nouvel acteur humanitaire.
Reste à savoir si le Covid-19 consacrera le retour d’une politique de souveraineté technologique en Occident ou s’il précipitera des États incapables de saisir la mesure de leur erreur géoéconomique, préférant trouver en la Chine un bouc émissaire par trop idéal?
Source agence de presse russe SPutnik.com ici