Le célèbre Prix Nobel américain d’économie dénonce les défauts de conception de la monnaie unique. Et pointe la responsabilité allemande dans cet échec… et encore une fois, ce n’est même plus moi qui le dis. D’ici quelques mois et à ce rythme, tout le monde voudra en finir avec l’euro, une idée qui s’impose de plus en plus dans le débat et qui va s’inviter d’une manière redoutable dans la présidentielle de 2017, créant un boulevard pour les forces souverainistes.
Charles SANNAT
“L’euro, au moins dans sa forme actuelle, est condamné. Bien loin d’apporter la prospérité promise par ses pères fondateurs, la zone euro s’est révélée être un carcan pour ses pays membres. Dans son dernier livre à paraître en France le 14 septembre, L’euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe (Ed. Les liens qui libèrent), l’économiste américain Joseph Stiglitz, proche de la gauche, juge ses défauts de conception mortels. De passage à Paris, le Prix Nobel d’économie en 2001 (avec George Akerlof et Michael Spence), qui a rencontré Arnaud Montebourg à la demande du candidat, estime indispensables une mutualisation des dettes publiques, la création d’un fonds de stabilisation des pays en difficulté, une réforme du mandat de la Banque centrale européenne (BCE) et la fin de l’austérité budgétaire. Faute de quoi, un divorce à l’amiable serait préférable à la situation actuelle. Entretien.
Le Point.fr : Depuis quand considérez-vous l’euro comme un échec ?
Joseph Stiglitz : J’étais dubitatif dès le départ, comme pas mal de mes collègues économistes américains. Il était déjà évident, à l’époque, que la zone euro ne remplissait pas les conditions pour qu’une monnaie unique fonctionne, telles que définies par Robert Mundell dans un article de référence. Quand certains Européens nous disaient en 2003-2004 “regardez, l’euro, ça marche”, la plupart d’entre nous répondaient “il est trop tôt pour le dire”. La question que nous posions était de savoir si la zone euro serait capable de faire face à un choc économique asymétrique, c’est-à-dire qui ne frappe pas tous ses membres de la même façon. Nous pensions que ce serait très difficile avec un taux d’intérêt et un taux de change uniques. Cette réalité s’est imposée après l’éclatement de la crise financière en 2008.
Personne en Europe n’était conscient de ce défaut de conception ?
Les fondateurs de l’euro ont fait l’erreur de croire que la monnaie unique apporterait la prospérité, laquelle permettrait ensuite d’instaurer des mécanismes de solidarité entre les pays membres et une dynamique d’intégration. Cette idée était sans doute fausse car un euro incomplet garantissait à coup sûr des problèmes économiques. Mais peut-être ont-ils aussi joué de malchance car ils ont rapidement été confrontés à la pire crise financière depuis la grande dépression des années 30. Si la crise avait été moins forte, ils auraient peut-être pu adapter la zone euro par petits pas, au fil du temps. Personne, à l’époque, n’a anticipé que la combinaison entre la monnaie unique et le marché unique sans garantie des dépôts bancaires allait mener à une divergence économique entre les membres de la zone euro, que les pays de la zone euro en déficit extérieur pourraient se retrouver confrontés à une fuite des capitaux. C’est pourtant arrivé parce que des pays comme la Grèce et l’Espagne empruntent dans une monnaie, l’euro, sur laquelle ils n’ont en fait aucun contrôle : les décisions sont prises à Francfort par la Banque centrale européenne. Cette situation ne peut pas arriver aux États-Unis qui contrôlent leur monnaie. Dans ce genre de cas, il leur suffit d’imprimer des dollars…