Christian de Boissieu n’est pas un économiste de grenier, c’est un économiste des grands salons avec un CV long comme le bras et sa page Wikipédia et qui croule sous les décorations et les médailles, c’est dire le sérieux du garçon.

Voilà ce qu’il dit.

« Les taux d’intérêt à long terme remontent, et le mouvement s’accélère depuis quelques semaines. Le taux à dix ans sur les obligations du Trésor américain est ainsi passé de 1,5 % fin 2021 à près de 2,5 % fin mars 2022. Hausse parallèle du dix ans français, de 0,19 % fin 2021 à un peu plus de 1 % fin mars, et des taux longs ailleurs.

Le réveil est brutal, et il est loin d’être terminé. Après des années de taux longs proches de zéro, voire négatifs, la « normalisation » devient effective. Elle est alimentée par l’inflation, forte et durable avec le double choc énergétique et alimentaire engendré par la guerre en Ukraine et ses implications. Avant l’Ukraine, je croyais encore à la possibilité d’une « bosse » d’inflation à même de se résorber assez vite en 2022. Désormais, le scénario de la « bosse » a du plomb dans l’aile. L’inflation est d’autant plus là que les anticipations d’inflation, du côté des entreprises et des ménages, l’alimentent et que la crainte de pertes importantes de pouvoir d’achat légitime des augmentations salariales ».

Et de Boissieu confirme ce que les poules normandes savent depuis bien longtemps !

« Confrontées au scénario de stagflation, les banques centrales sont dans l’embarras. Ou elles resserrent rapidement la politique monétaire au risque de provoquer ou d’accentuer une récession. C’est plutôt le choix de la Fed, avec six relèvements probables de son taux directeur d’ici la fin de l’année après celui de l’autre jour. Ou elles resserrent prudemment, mais avec le risque de ne pas casser les pressions inflationnistes. Telle est la stratégie de la BCE, qui réduit le QE (achats d’obligations) sans toucher pour l’instant à ses taux directeurs.

Les banquiers centraux, du moins les plus anciens d’entre eux, ont encore en tête le krach obligataire de 1994, provoqué à l’époque par les « petits pas » de la Fed. Tout faire pour échapper au scénario de 1994, pour éviter la déroute des marchés obligataires et des fonds qui y sont investis ».

Ne pas monter les taux c’est laisser l’inflation s’installer et se développer. Monter les taux c’est créer une récession de toute pièce !

Hahahahahahahahahaha.

Et oui.

Il n’y a plus aucune bonne solution… Je rigole parce que nous le savions, pas parce que cela va être agréable.

Et de Boissieu de terminer son raisonnement…

« 1) Un peu partout, plus lentement dans la zone euro qu’aux Etats-Unis car les cycles économiques sont décalés, la courbe des taux se « repentifie », après cette longue phase de courbe plate (ou presque). Globalement, c’est une bonne nouvelle pour les intermédiaires financiers (banques, assurances…) et pour les épargnants. Des taux longs significativement au-dessus des taux courts, cela veut dire le retour des primes de terme, poussant les investisseurs vers les placements longs. Aux Etats-Unis, la repentification n’empêche pas en ce moment l’inversion de la courbe sur certaines échéances en deçà de 10 ans. Un indicateur avancé d’une possible récession ?

2) Si les taux d’intérêt nominaux sont en train de se « normaliser », il n’en va pas de même pour les taux réels (taux hors inflation). Pour les mois qui viennent, je m’attends à ce que, étant donné l’ampleur du choc sur les prix, l’inflation augmente plus vite que les taux nominaux (à long terme et bien sûr à court terme), signifiant une réduction des taux d’intérêt réels, déjà largement négatifs. La diminution des taux réels pendant cette phase transitoire ne suffira pas à doper l’investissement des entreprises tant le brouillard géopolitique va rester épais pour le reste de l’année.

3) La baisse des taux réels juste évoquée va durer quelques mois. A terme, une fois l’inflation maîtrisée, les taux réels vont suivre le mouvement des taux nominaux. N’en déplaise à certains économistes qui nous promettaient l’installation durable dans le régime des taux bas, le choc de taux qui est loin d’être achevé va modifier la soutenabilité des dettes, publiques et privées. Car cette soutenabilité dépend avant tout de l’écart entre taux de croissance et taux d’intérêt.

4) La BCE est confrontée à un défi que ne connaît pas la Fed : éviter une nouvelle fragmentation de la zone euro, après celle de 2010-2013, donc contenir le creusement des primes de risque que pourraient subir les pays fragiles de la zone en phase de remontée générale des taux. Face à ce risque de fragmentation financière intra-zone, les réponses sont à peu près identifiées : pragmatisme et crédibilité ! »

Et oui, pour la zone euro il y a en plus un risque de « fragmentation », traduisez d’explosion. Nous les économistes de grenier non décorés nous avons une liberté de parole un peu plus grande. Mais heureusement avec du « pragmatisme et de la crédibilité » les banques centrales nous sauveront.

Hahahahahahahahahahahaha

Là je pouffe, que dis-je je m’esclaffe !

Ce n’est pas une question de crédibilité, c’est que nous sommes coincés .

Soit on laisse faire et l’inflation va exploser et réduire le pouvoir d’achat des gens de manière très rapide.

Soit on tente de lutter contre l’inflation en montant les taux ce qui ne fera pas venir plus ou moins de gaz russe et on accélère une récession.

En plus en zone euro, si nous perdons le contrôle des taux avec l’endettement hétérogène entre des pays comme l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas d’un côté et la France, l’Italie et la Grèce de l’autre, ce sera la catastrophe monétaire assurée. Si l’euro explose (ce qui nous permettrait de retrouver notre souveraineté monétaire et serait donc une bonne chose) ce sera forcément douloureux, mais différemment de la lente agonie que cette monnaie unique nous impose depuis plus de 20 ans.

A tout cela vous pouvez rajouter que nous importons tout, de Chine pour nos bidules, et de Russie en grande partie pour nos énergies.

L’Europe est un colosse aux pieds d’argile qui va vaciller dans les prochains mois.

La question est simple.

Tiendra-t-on, ou va-t-on s’effondrer ?

Si nous tenons tant mieux, mais au cas où, préparez-vous au scénario de l’effondrement. C’est plus prudent.

Charles SANNAT

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Source le Cercle des Economistes via boursorama.com ici

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