J’écris ces lignes en ne connaissant pas le résultat du deuxième tour des élections françaises.
Dans les deux dernières années, je me suis rendu à quelques « dîners en ville » fort intéressants qui avaient lieu chez des amis de ma fille aînée, Emmanuelle.
Le principe en était simple : avant de passer à table, nous écoutions un conférencier qui nous parlait d’un sujet qu’il avait travaillé et qui lui tenait à cœur. Et après, nous dînions et buvions en bonne compagnie.
L’une de ces conférences m’a profondément marqué.
Le conférencier était un ancien élève de la rue de l’ULM devenu rabbin, et la conférence portait sur la notion de peuple et de foule dans l’Histoire. Je vais essayer de résumer ici ce qu’il a dit et ce que j’en ai compris, au risque de le trahir. Mais c’est le propre d’une idée forte que d’être reprise et parfois transformée. Nul n’est propriétaire de ses idées.
Et en réalité, ce que cet homme a dit me taraude depuis des mois car je suis ainsi fait que quand je croise une idée nouvelle (pour moi), je me mets à la ruminer lentement pour qu’elle se dépose au fond de mon esprit où elle pourra se croiser avec d’autres idées « fortes » sans que j’en aie vraiment conscience la plupart du temps. Et à la fin du processus, cette idée devient mienne et je me mets à en parler pour la répandre.
Voici l’idée de départ.
Dans l’antiquité grecque et latine, la foule, la plèbe, étaient considérées comme dangereuses parce qu’imprévisibles et soumises à des emballements « incompréhensibles » (voir les analyses de René Girard pour une explication). Les gens éduqués, les élites, se tenaient donc le plus loin possible de la plèbe et des petites gens.
Arrive le Christ qui littéralement transforme la notion de foule, de plèbe en une toute nouvelle entité, le Peuple.
Et cette transformation se passe pendant une prédication de Jésus dans le désert. Une foule immense suivait Jésus, la fin de la journée approche, il se retourne et a pitié d’eux qui ont faim et soif alors que le lieu est désertique. Il leur dit de s’asseoir et procède à la multiplication des pains et du poisson.
C’est de ce moment-là que date la notion de Peuple de Dieu, constitué de pauvres, de bancals, d’aveugles, de perclus, d’idiots. Et ce sont ces gens-là que Jésus nous demande d’aimer à la place de les mépriser et de les tenir à l’écart. Et ce sont ces mêmes gens qui seront sauvés : « Heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent… car le Royaume des Cieux est à eux. » Et d’ajouter, « ce que vous aurez fait pour le plus petit d’entre eux, vous l’aurez fait pour moi ».
Ce renversement total de perspective, où la plèbe devient le Peuple, est bien sûr à l’origine de la civilisation chrétienne.
L’Église catholique a porté ce message pendant vingt siècles (non sans de nombreux loupés, j’en conviens : « L’Église est un vaisseau qui a son gréement dans les étoiles et sa coque dans la merde » disait Bernanos …).
Il n’en reste pas moins que notre bonne vieille Église a été à l’origine du développement de la science (puisque le rôle de la créature était de comprendre par la raison ce qu’avait voulu faire le Créateur), des hôpitaux, des écoles, des universités, de la protection des femmes et des enfants au travers de la sanctification de la famille, de la limitation du pouvoir des puissants (trêve de Dieu) et bien sûr des droits de l’homme (controverse de Valladolid).
Au XVIIIe siècle avec la Révolution française et au XIXe siècle, surtout avec Marx, tout change.
Les notions de peuple, de petites gens comme centre de l’histoire franchissent une nouvelle étape. Le Peuple n’est plus sauvé par le Messie, mais le DEVIENT (Marx), ce qui est une novation extraordinaire. Mais cette nouveauté a une conséquence fâcheuse que peu de gens ont compris à l’époque : le Peuple n’a plus besoin d’être aimé, soigné et éduqué mais… guidé.
Et nous nous retrouvons avec le problème qui a plombé l’Église catholique pendant des siècles : comment aimer le peuple sans chercher à le diriger ?
L’Église avait non seulement une réponse théorique à cette tentation (à laquelle elle a souvent cédé) « mon Royaume n’est pas de ce monde », mais aussi une réponse pratique, l’émergence de personnalités extraordinaires telles François d’Assise, Vincent de Paul ou Mère Teresa qui aimaient sans chercher à diriger.
Le socialisme ou la technocratie n’en avait aucune, ce qui revient à dire qu’au bout d’un certain temps, les élites se lassèrent du peuple (ou le peuple des élites) et que le Peuple de Dieu redevint la plèbe, un peu comme il l’était dans la Rome antique.
Et la déchristianisation qui commence à peu près à la même époque ne fit qu’accentuer ce phénomène. Bien entendu, ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine politique est la preuve de cette régression historique dans la quasi-totalité des pays développés du monde en général et en France en particulier.
À l’évidence, la gauche n’aime plus le peuple et le peuple, redevenu la plèbe, n’aime plus la gauche.
En fait, nous sommes dans un pays où la gauche a trahi le peuple, le reléguant au rôle de plèbe, tandis que la droite a trahi la nation, ce qui laisse une grande partie de ceux qui ont besoin d’être aidés quelque peu désemparés.
Et c’est ce que constate le géographe Christophe Guilly dans tous ses livres.
La France aujourd’hui est géographiquement distribuée en trois zones concentriques :
- Au centre, ceux qui sont adaptés à l’économie moderne que j’ai appelé l’économie de la connaissance dans mon livre C’est une révolte, non Sire c’est une Révolution. Ils contrôlent l’économie et les médias. Il est d’usage de les appeler les « bobos » et ils constituent l’électorat de Macron.
- En périphérie des bobos, on trouve les immigrés qui sont de fait les domestiques des bobos (chauffeurs Uber, taxis, gardes d’enfants, personnel soignant, etc.) et sur lesquels se déversent les subventions étatiques, ce qui permet aux bobos d’avoir des domestiques pas trop chers. Ce deuxième groupe vote Melenchon.
- Et enfin, à une heure et demi ou deux heures du centre de la grande ville dans laquelle les bobos résident dans des appartements hors de prix, on trouve les perdants de la mondialisation, ceux qui naguère étaient employés dans le secteur industriel. Ils votaient communistes autrefois, ils votent FN aujourd’hui. Et il n’y a plus aucun contact entre les bobos et les habitants de la troisième zone.
Et ce que cela veut dire est assez simple : ce qui fait office d’élites de nos jours n’a que mépris pour ceux qui vivent dans la France de la périphérie. Ce qui implique que « la volonté de vivre ensemble », absolument constitutif d’une nation, n’existe plus. Les élites méprisent la plèbe et plus encore ses représentants encore plus que cela n’était le cas dans la Grèce ou la Rome antique.
À l’époque, et il faut s’en souvenir, les membres de la plèbe étaient appelés en Grèce les « idiotes » et leurs meneurs les « démagogues ».
Plus ça change…
En fait, les bobos méprisent la plèbe et REFUSENT d’entendre sa voix, ce que l’on a fort bien vu lors de cette campagne présidentielle. Toute discussion des problèmes affectant cette troisième zone a été purement et simplement interdite. Et du coup, le Peuple, redevenu plèbe, se met à haïr les bobos…
Nous sommes donc en train de fermer une parenthèse historique qui a duré près de 2 000 ans et c’est sur cette parenthèse que reposait une notion aussi fondamentale que l’égalité de tous devant la Loi.
En Grande-Bretagne, aux USA, le petit peuple a réussi à faire entendre sa voix, au moins partiellement, en France des manœuvres politiciennes de bas étage ont réussi à empêcher tout débat.
Il reste à notre pays une dernière chance pour permettre à cette partie de la nation de s’exprimer : les élections législatives de juin 2017.
Faute d’un résultat qui permettrait aux citoyens de la zone périphérique de se faire entendre, la France serait irrémédiablement coupée en deux et le pire serait à craindre.
Si par malheur la démocratie ne fonctionnait pas, alors la violence deviendrait non seulement inévitable mais légitime.
Source Institut des Libertés ici