J’ai donné une interview à la radio Sputnik la semaine dernière suite à l’annonce par Valls de son “plan” pour attirer les entreprises anglaises… On voit bien, avec quelques jours de recul, encore une fois que l’attractivité, comme la compétitivité sont des notions relatives et complexes qui n’ont rien à voir avec juste un coût de main-d’oeuvre par exemple.
Charles SANNAT
Suite à la victoire du “Leave” au Royaume-Uni, Manuel Valls a présenté mercredi 6 juillet, une série de mesures afin d’inciter des entreprises financières établies à Londres à venir s’installer en France. La France a-t-elle les moyens de cette politiqu e?
“Paris, Welcome To Europe !” Si Londres a décidé de mettre les voiles, son éternelle sœur rivale a décidé d’en profiter. Lors du forum “Paris Europlace”, dédié à la promotion de la place financière parisienne, le Premier ministre s’est tenté à un exercice de promotion, déployant un bouquet de mesures censé renforcer l’attractivité de Paris : à en croire le chef du gouvernement, “c’est plus que jamais le moment de venir en France!”
— “Nous voulons également que le régime des impatriés devienne le plus favorable d’Europe”: avec un allongement de 5 à 8 ans du régime fiscal de faveur dont jouissent les salariés rapatriés, qui verront en plus leur prime d’impatriation exonérée de taxe sur les salaires, une mesure qui concerne tout particulièrement les métiers financiers.
— Un “point d’entrée unique”, à comprendre un même interlocuteur pour les entreprises étrangères, et leurs salariés, afin de les aider dans leurs démarches administratives.
— “Nous avons, dès cette année, supprimé la contribution exceptionnelle à l’IS. Et le taux normal d’impôt sur les sociétés sera progressivement ramené à 28 %” déclare Manuel Valls, présentant ces mesures comme dirigées vers les entreprises anglaises qui traverseraient la Manche. Le Premier ministre joue en fait sur l’effet d’annonce, ces mesures étant déjà actées dans le pacte de stabilité, et prévues d’ici 2020.
— Ouverture “d’autant de sections internationales que nécessaire dans les établissements scolaires”, afin de permettre aux petites têtes blondes des expatriés d’étudier dans leur langue maternelle au sein des écoles de la République.
Un dernier point qui n’a pas manqué de faire réagir Charles Sannat, économiste intervenant auprès de plusieurs écoles de commerce parisiennes, rédacteur du blog Insolentiae, qui relève dans les annonces de l’exécutif socialiste quelques paradoxes :
“Donc, au moment où on met fin aux classes européennes sous principe d’égalité — pour ne pas dire d’égalitarisme — on se dit que finalement on va ouvrir des classes internationales pour les enfants d’expatriés qui vont venir s’installer en France… déjà si vous voulez vous avez un premier paradoxe qui est assez cocasse, un autre c’est un impôt sur les sociétés qu’on passerait à 28 % au lieu de 33 %, tout en sachant que vous avez aujourd’hui des milliers — pour ne pas dire 3,5 millions d’entreprises en France — qui aimeraient déjà qu’on allège cet impôt sur les bénéfices. Encore un autre paradoxe. C’est très bien de ce dire qu’on va attirer du monde, à défaut d’attirer du monde, gardons le monde qui est déjà là !”
Si vous avez un tant soit peu suivi les élections présidentielles de 2012, cette réplique doit vous être familière : “Mon ennemi, c’est la finance” insistait, le candidat à l’investiture suprême, François Hollande — une réplique à laquelle la taxe sur les transactions financières ainsi que la taxe à 75 % sur les hauts revenus devaient d’une certaine manière donner corps. Une série de messages au contenu pour le moins hostile à l’intention des traders auxquels le gouvernement fait aujourd’hui du pied, sans visiblement y voir une once de contradiction… mais pour le député socialiste Jérôme Lambert, membre de la Commission des finances, depuis 2012, il y a prescription :
“Je dirais que la campagne est bien loin, cela fait maintenant près de cinq ans […] Depuis ceux qui nous gouvernent ont manifestement considérablement évolué par rapport à leur relation au monde de la Finance. Cela ne veut pas dire que parce qu’on souhaite un contrôle des activités, d’ailleurs on le souhaite au niveau européen, on ne le souhaite pas qu’au niveau français, c’est un combat que nous mènerons de toute façon, que ces activités soient localisées à Bruxelles, à Luxembourg, en Allemagne ou en France : c’est un objectif que l’ensemble de l’Europe doit s’assigner pour que les activités financières puissent aussi, à travers des bénéfices qu’elles génèrent, profiter à l’ensemble des citoyens européens et pas simplement à un petit noyau.”
Mais pour que tous en profitent, encore faut-il que les institutions financières n’aient pas au-dessus de leur tête une épée de Damoclès fiscale comme le souligne Charles Sannat :
“Vous ne pouvez pas, impunément, mettre une taxe à 75 % sur les plus hauts revenus et penser que les traders vont venir… Les traders ils l’ont très bien retenu : ils ont retenu qu’à n’importe quel moment un Président ou un Premier ministre, avec ou sans l’avis de sa majorité, en utilisant le 49.3, peut faire passer à peu près ce qu’il veut, y compris une taxe de 75 % si à un moment donné ça l’arrange pour faire le gentil face à l’opinion publique — ça rejoint l’insécurité fiscale — vous ne venez pas vous installer dans un pays comme ça, vous ne prenez pas le risque quand vous avez le choix.” Pour le député de Charente, la mesure doit permettre au gouvernement de préparer le terrain : le rapatriement de certaines “activités très sensibles” depuis la City vers le continent est une question toute légitime, d’autant plus que la France n’est pas le seul pays dans les starting-blocks pour les récupérer… La nécessité d’attirer des capitaux étrangers — sources de recettes fiscales — une initiative à laquelle son homologue Isabelle Bruneau, député socialiste de l’Indre ne s’oppose pas :
“Ces mesures sont positives pour la France, déjà d’une part parce que c’est une démonstration d’efficacité dans l’Union européenne, de brassage culturel, c’est aussi l’apport d’actifs sur le territoire et puis c’est aussi des consommateurs potentiels, donc de ce point de vue là, c’est extrêmement positif qu’un pays puisse attirer un certain nombre d’entreprises étrangères.”
Néanmoins pour la députée, l’économique ne fait pas tout. Pour elle, les politiques doivent justement tirer les conclusions du “Brexit” s’ils ne veulent pas voir se répéter un tel épisode: tant que nous continuerons à jouer le jeu de cette compétitivité internationale et globalisée, le tout au détriment des politiques nationales — pire encore en cas de manque de cohérence — les populismes, hostiles à l’Union, ne pourront que progresser inexorablement :
“Lorsqu’on choisit de se positionner uniquement sous un angle économique et de remporter une bataille économique, forcément on en oublie le combat idéologique que l’on doit mener pour éviter les populismes. Cela n’est pas uniquement ce gouvernement-là, cela a toujours été comme ça : pour moi, qui suis une députée de terrain, on ne peut pas dissocier les mesures économiques de l’idéologique et du culturel et tant qu’on le fera on s’expose à des replis identitaires.”
D’autant plus qu’en matière d’asile pour ces entreprises, la France n’incarne pas véritablement un modèle de stabilité… fiscale : quels que soient les gouvernements, on observe régulièrement dans notre pays des volte-face en matière de taxation : quelles sont donc les garanties offertes aux investisseurs étrangers que les mesures proposées aujourd’hui par Manuel Valls vont perdurer ? D’autant plus qu’en matière de fiscalité, les investisseurs nationaux comme les ménages français ont été plus qu’échaudés.
Une étude du cabinet sud-africain New World Wealth tend à démontrer que la France est devenue le pays au monde qui fait le plus fuir ses millionnaires : près de 10 000 par an, soit autant d’impôts que les classes moyennes devront compenser. Mais qu’ils soient de classe “moyenne” ou “supérieure”, les contribuables n’ont-ils pas entendu à satiété qu’ils ne devraient plus avoir à subir d’augmentation de leurs prélèvements obligatoires d’ici les prochaines élections ? “Jusqu’à la fin du quinquennat, pas un centime de plus d’impôt !” déclarait François Hollande en direct sur TF1, nous étions en 2014.
Le jour même du bis repetita de cette promesse par François Hollande, Manuel Valls annonçait la promulgation d’un tout nouvel impôt régional, la Taxe spéciale d’Équipement régional de 600 millions d’euros, prélevés à la fois chez les ménages et les entreprises, qui seront redistribués aux régions afin de permettre à leurs nouvelles structures, issues de la réforme territoriale, de gérer des leviers autrefois aux mains des départements — qui, au passage, continueront à percevoir les prélèvements qui y étaient dédiés.
“L’insécurité fiscale ou l’insécurité sociale, ce sont des éléments directs de votre attractivité et de votre compétitivité : est-ce que vous allez pouvoir faire un projet sur 20 ans avec une visibilité fiscale, ou une visibilité sociale si vous recrutez du monde ? La réponse est non. En tout cas pour la France, la seule visibilité fiscale qu’on vous donne, c’est que tous les ans les impôts sont plus élevés que l’année précédente.”
Souligne Charles Sannat. Constat alarmiste ? Pas vraiment si l’on en croit Valérie Rabault, député socialiste, qui expliquait cette semaine à L’Humanité que la contribution de l’impôt des ménages — tous prélèvements confondus — au Produit Intérieur Brut (PIB) a augmenté de 1,3 point depuis l’élection de François Hollande… passant de 24,2 % l’année de la présidentielle à 25,5 % trois ans plus tard, alors que parallèlement, les prélèvements avaient diminué de 0.3 point pour les entreprises. Bref, la stabilité fiscale dont rêvent entreprises — et ménages — n’est pas à l’ordre du jour en France, ni d’ailleurs dans aucun pays, selon Jérôme Lambert : “En France ou dans d’autres nations, vous savez, la situation est fluctuante. La crise de 2008 n’est pas si lointaine et nous rappelle que dans énormément de pays il y a eu des ajustements sur les politiques fiscales ou financières. Qu’en sera-t-il pour l’avenir ? Si nous sommes dans un environnement de croissance et de stabilité, il n’y a pas lieu de penser que notre environnement fiscal évoluera — de manière importante en tout cas — voilà, c’est la seule réponse qu’on peut faire […] Personne ne peut dire “je garantis pendant 5 ans, je garantis pendant 10 ans”. Qui peut savoir ? Ce que nous souhaitons, nous, c’est de construire un monde de stabilité et de croissance et dans ce cadre-là si nos politiques réussissent il n’y a pas lieu de penser que les politiques fiscales changeront du tout au tout…”
Mais finalement, pourquoi les entreprises financières telles que les banques, dont le sort intéresse si soudainement le gouvernement, devraient-elles quitter l’Angleterre ? Latitude où le régime fiscal est de toute façon toujours bien plus doux, et ce plus que pour tout autre type d’entreprise. Si les banques britanniques traitent d’énormes volumes de transactions financières quotidiennes, titrées en euros depuis Londres sans pour autant être dans la zone euro, c’est parce que la City fait géographiquement partie de l’Union européenne. Et le Brexit ne change fondamentalement rien à l’affaire. Les banques anglaises pourront — comme l’explique Charles Sannat — continuer à mener ce type d’opérations, moyennant le simple renforcement de leurs filiales présentes sur le territoire européen… le tout sans forcément avoir à passer par la case “déménagement”, ou même simplement changer l’adresse fiscale de leur siège en se relocalisant en France, en Allemagne, au Luxembourg ou en Irlande, qui voudrait bien jouer les outsiders dans cette course au débauchage des banques britanniques. Comme le rappelle notre économiste, ce procédé est bien appliqué par les banques françaises, qui ont installé des filiales aux États-Unis afin de pouvoir traiter des opérations en dollars.
“Ces banques britanniques vont donc avoir simplement besoin de mettre quelques filiales en Europe, sur le continuent, pour traiter ces opérations de change, mais ça ne va pas être un besoin massif qui va nécessiter de déménager des millions de traders de la City… Il est totalement faux de croire — quand on comprend la véritable raison qu’il y a derrière ces idées de déménagement — qu’il s’agit de centaines de milliers de personnes, il s’agit de quelques centaines de personnes !”
Parmi les rivales de Paris pour la récupération d’actifs londoniens, Francfort figure en pôle position. Si nos députés se sont montrés confiants quant aux chances de la capitale française de l’emporter, Charles Sannat l’est — quant à lui — un peu moins :“Massivement, les gens iront s’installer en Allemagne, ils n’iront pas s’installer en France. Les grandes banques choisiront Francfort et l’Allemagne plus que Paris. Il y a une autre raison également à cela : en cas d’explosion de la monnaie unique, il vaut mieux être en Allemagne — en futur Mark — que dans une France en futur Franc.”
D’autant plus que la ville allemande possède un atout de poids par rapport à Paris : les traités européens lui ont notamment offert la joie de disposer du régulateur des banques européennes, la BCE, clef de voûte du système financier de l’Union ! Sa proximité est un luxe que recherche toute banque normalement constituée. Jérôme Lambert, quant à lui, opte pour l’optimisme — notamment en termes d’accords européens :
“Francfort, effectivement le siège de la BCE, qui est peut être en concurrence avec les activités futures que nous pourrions avoir aussi avec Paris — en relation avec le départ de la City d’un certain nombre d’activités. […] Maintenant peut-être peut il y avoir aussi au niveau européen un peu de régulation : tout ne se décide pas par le politique, il y a la question des marchés et la volonté elle-même des entreprises, mais je pense qu’à ces niveaux-là un accord politique peut intervenir entre la France, l’Allemagne et le Benelux, pour savoir où il sera le plus profitable d’installer les futurs services financiers nécessaires aux activités économiques de la zone euro.”
Il est en effet optimiste dans la mesure où les places financières de Londres (London Stock Exchange Group) et de Francfort (Deutsche Börse) ont vu leur projet de fusion approuvé — lundi 4 juillet — par les actionnaires. Une fusion pourtant annoncée comme la grande victime du Brexit. “La transaction comprend tous les mécanismes nécessaires afin de répondre au résultat du référendum” a déclaré par communiqué le gestionnaire de la bourse londonienne. Comme les carabiniers, Valls arriverait-il après la bataille ?
Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur.