En tenant compte de l’incertitude économique grandissante à travers le monde entier, la Chine va surprendre tout le monde avec sa stratégie. Interview de Stephen Leeb, publiée le 13 août 2016 sur KWN :
Un homme en avance sur son temps
Stephen Leeb : « Je vais commencer par me référer à un homme qui était en avance sur son temps, à savoir Howard T. Odum : un penseur légendaire qui a réfléchi sur la façon dont les êtres humains se rapportent aux ressources naturelles. Son dernier livre, A Prosperous Way, a été publié en 2001, un an avant sa mort… »
Stephen Leeb poursuit en martelant : « Malgré la reconnaissance indéniable qu’Odum a reçue au fil des années, notamment de la part de diverses universités et organisations américaines, l’élite de la politique américaine a omis de lire ses livres, en particulier le dernier ».
« La nourriture, le logement, les vêtements, les combustibles, les minéraux, les forêts… l’information… ce sont là des vraies richesses. L’argent papier, en soi, ne l’est pas. »
En d’autres termes, pour contrôler la richesse réelle, vous avez besoin de richesses réelles. À titre d’exemple, admettons que quelqu’un possède de vraies richesses – celles-ci incluant tous les produits. Il se désintéresserait dès lors complètement de votre argent papier, au cas où quelqu’un d’autre est en capacité de lui offrir, à son tour, de vraies richesses en contrepartie.
La Chine prend le contrôle de toutes les ressources naturelles essentielles
En appliquant en pratique cette simple observation, les Chinois et l’Orient, en général, font passer les gouvernements occidentaux pour des abrutis finis. Étape par étape, ils établissent un contrôle sur toutes les ressources naturelles essentielles, du pétrole, en passant par le cuivre, le minerai de fer (et donc l’acier), pour arriver aux terres rares et à l’argent. Et ce sans oublier bien sûr l’or – la ressource naturelle nécessaire pour faire de l’argent une richesse.
Leurs efforts pour contrôler le pétrole sont passés complètement inaperçus. Mais au bout du compte, ce sera à la fois un coup fatal pour l’Occident et pour le dollar, et un coup de pouce énorme pour l’or. En effet, lorsqu’il est question des ressources naturelles essentielles, l’énergie occupe le sommet de la hiérarchie. Sans énergie, vous ne pouvez pas générer assez de nourriture et vous êtes à court d’eau. De fait, le résultat est un chaos total. Les civilisations qui ne peuvent pas se procurer assez d’énergie sont vouées à l’effondrement.
La Russie, l’Arabie Saoudite et la guerre du pétrole
La poussée de la Chine pour le contrôle énergétique se transpose sur une autre course très importante : celle entre la Russie et l’Arabie Saoudite. À l’issue de celle-ci, le pétrole d’un de ces deux pays émergera comme la plus importante source énergétique dans le cadre d’une nouvelle ère du pétrole où, comme nous le verrons ci-dessous, la Chine envisage d’établir son contrôle.
Lorsque l’Arabie Saoudite a décidé d’inonder les marchés mondiaux avec son pétrole, l’Occident a perçu en cela une tentative de la part des Saoudiens de détruire l’industrie nord-américaine du pétrole de schiste. Mais force est de constater que ce fut une interprétation absurde. Bien sûr, les Saoudiens pourraient arrêter une partie de la production de schiste pendant quelques années, en engendrant notamment des faillites par-ci par-là. Mais le pétrole à bas prix n’allait pas littéralement détruire le gaz de schiste. Les prix en question pourraient ruiner certaines entreprises, certes, mais absolument pas le gaz de schiste, d’autant plus si l’on tient compte des grandes compagnies pétrolières établies à partir d’Exxon jusqu’à Chevron, les unes plus désireuses que les autres de saisir les actifs de schiste.
Qui plus est, durant tous ces débats, on n’a pas vraiment pris en compte la capacité du gaz de schiste à rester économiquement fort, et ce malgré les bas prix du pétrole. La plupart des estimations affirment que le gaz de schiste atteindra le sommet énergétique au début de 2020, sinon avant. Notons aussi que les entreprises de plus en plus puissantes, qui finiront par contrôler le gaz de schiste, pourront maintenir la production plus longtemps que prévu.
En d’autres termes, en martelant que les Saoudiens faisaient tout pour évincer les producteurs de gaz de schiste, on martelait qu’ils se donnaient tout ce mal pour, tout porte à le croire, étendre l’espérance de vie d’une industrie concurrente. Espérance de vie qui ne fait que commencer.
Un événement sans précédent dans l’histoire humaine
Les décisions des Saoudiens ont conduit à une réalité qui n’a pas eu de précédent : pour la première fois de l’histoire, tous les pays majeurs en matière de production de pétrole, produisaient en dessous de tous les coûts. En d’autres termes, pas un des principaux producteurs de pétrole du monde fermait ses vannes. La croissance de chacun de ces pays a ralenti, tandis que même les mieux placés d’entre eux, y compris l’Arabie Saoudite, ont emprunté de l’argent et dépensé de leurs réserves monétaires pour joindre les deux bouts.
On peut dès lors se demander pourquoi on s’empresse à pomper autant de pétrole ? À ce propos, quelques chiffres et quelques dates peuvent nous donner une réponse partielle. La stratégie de l’Orient n’est pas tant de détruire l’industrie schiste, mais d’établir son pétrole comme étant la majeure partie de l’indice de référence.
Entre le début de l’année 2010 et la fin de 2014, l’Arabie Saoudite a fourni à la Chine plus de 250 millions de tonnes de pétrole, tandis que la Chine n’a eu que 117 millions de tonnes fournies par la Russie. Depuis 2015, le différentiel a progressivement rétréci. Au cours des 10 derniers mois, le plomb a changé de mains cinq fois – lors de cette période, on dénombre les seules cinq reprises lors desquelles la Russie a exporté plus de pétrole en Chine que l’Arabie Saoudite.
La stratégie brillante de la Chine pour contrôler le marché du pétrole
Quand on parle de dates pertinentes, notons qu’en 2014, la Chine a fait savoir qu’elle voulait commencer à négocier une référence du pétrole. Cette référence n’est pas une mince affaire en matière économique et géopolitique, car elle a pour vocation de déterminer ce que les acheteurs individuels et les vendeurs négocient. Bien que le pétrole soit en grande partie fongible, il existe des différences entre les pétroles produits dans les différents pays, et bien que ces différences ne soient pas très grandes, elles peuvent toutefois rendre le processus de raffinage plus facile ou plus difficile en fonction du type de raffineries dont les pays disposent. Si un point de référence venait à se concrétiser, et que votre pétrole s’avérait être le constituant le plus important de ce point de référence, vous vendriez naturellement plus de pétrole.
Les plans de la Chine quant à instaurer un point de référence du pétrole ont attiré une certaine attention au départ, mais ils ont connu un angle plus ou moins mort par la suite. En 2014, le Financial Times a cité un analyste qui a affirmé que « le contrat pétrolier ne sera probablement pas aussi influent que les contrats chinois à termes sur les métaux, tout simplement parce que les marchés mondiaux du pétrole sont déjà très vastes et liquides », avant d’ajouter qu’« une grande partie de la réussite ou de l’échec de ce plan, pourrait dépendre de la rapidité avec laquelle la Chine instaurerait son contrôle sur les importations de pétrole ». Au moment où la Chine a annoncé ses plans pour un indice de référence, les importations de pétrole étaient majoritairement dans le ressort des entreprises publiques. Les petits raffineurs devaient donc acheter leur pétrole aux entreprises publiques chinoises.
Cela a changé en août 2014, lorsque la Chine a ratifié son premier permis à une raffinerie de petits raffineurs, en les autorisant ainsi à importer du pétrole directement à partir de sources étrangères. À l’époque, le pétrole brut se négociait autour de 100. Le mois suivant, les Saoudiens ont considérablement haussé leur production et ils ont également haussé leurs exportations vers la Chine de 20 %, c’est-à-dire au plus haut niveau jamais enregistré. Au début de 2015, la Chine a publié un décret permettant à tous les petits raffineurs d’importer du pétrole directement à partir de sources étrangères.
La Chine est maintenant prête à contrôler les marchés pétroliers de l’Orient
La Chine a rejoint les affaires de raffinage pour de bon. Gardez à l’esprit que le pétrole non raffiné est plus important en matière de quantité que le pétrole liquide noir et inflammable. Avec l’Orient qui est destiné à devenir de loin le plus grand marché de pétrole, et la Chine, qui est de loin la plus grande économie de l’Orient, l’État chinois est prêt à établir un contrôle presque complet sur les marchés pétroliers orientaux.
Le 21 juillet 2016, Platts, leader mondial dans l’information sur le pétrole, a publié un article intitulé : « Analyse : les exportations de produits pétroliers en provenance de la Chine sur le point de battre tous les records ». En d’autres termes, le contrôle de la Chine sur le marché pétrolier de l’Orient est bel et bien en route. Qui plus est, il faut s’attendre à ce que l’indice de référence du pétrole, dont la mise en place a été retardée de plus d’un an depuis le début des négociations, va certainement être opérationnel tôt ou tard.
Une fois l’indice de référence en place, la course entre la Russie et l’Arabie Saoudite va probablement cesser. Ils diminueront leurs niveaux de pompage et la manipulation du prix du pétrole se terminera. En effet, le prix du pétrole va certainement commencer à grimper et éventuellement atteindre des records sans précédent.
La Chine contrôlera le pétrole, mais qu’en sera-t-il de l’or ?
Il y aura beaucoup de gagnants : la Russie, l’Arabie Saoudite et, surtout, la Chine. Pour revenir à la distinction que nous avons faite au départ, la Chine se positionne dans le jeu de la richesse, et non pas dans celui de l’argent. Les transactions de pétrole avec la Russie sont déjà bel et bien libellées en Yuan. À ce propos, si l’on prend en compte tout l’or que la Chine et la Russie ont accumulé, ces échanges sont de facto soutenus par la seule ressource qui représente à la fois l’argent et la richesse, à savoir l’or. Lorsque l’Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe auront rejoint la partie, la nouvelle monnaie sera effectivement le Yuan.
Cela dit, Il y aura également un perdant notable, à savoir les États-Unis. En effet, l’État nord-américain souffrira du fait que sa production de pétrole de schiste en pleine diminution ne sera pas suffisante pour répondre à ses besoins. En lien avec cela, le pétrole produit en Orient étant libellé en Yuan et soutenu par l’or, le dollar américain ne pourrait être que perdant.
En conclusion, clarifions plusieurs choses. Tout d’abord, le pompage massif du pétrole n’a jamais été une stratégie qui vise à détruire le schiste américain. Ensuite, la Chine est sur le point de prendre les rênes du pétrole. Et, enfin, le point le plus important : le pétrole ne sera plus échangé contre n’importe quel morceau de papier, mais seulement contre ces papiers qui sont effectivement soutenus par la richesse, à savoir par l’or. Si vous ne possédez pas d’or, vous serez dans une position délicate pendant très longtemps. »